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La mort de Charles de Gaulle – Je me souviens

 

Dimanche 07.11.10 - 18.28h

 

Il y a quarante ans, le 9 novembre 1970, Charles de Gaulle s’éteignait brutalement d’une rupture d’anévrisme, le soir, chez lui, alors qu’il tentait une réussite aux cartes. Ce que je faisais ce soir-là, je ne m’en souviens pas, et pour cause : ce n’est que le lendemain que le monde apprenait la nouvelle. La journée dont je me souviens comme si c’était hier est donc celle du 10 novembre 1970. J’avais douze ans et quelques mois. J’étais en cinquième (l’équivalent de la huitième), la deuxième année de l’école secondaire.

 

A midi, je rentre de l’école. Ma mère arbore un visage de marbre, celui des mauvais jours, elle me dit qu’un « grand homme vient de nous quitter », je comprends tout de suite de qui il s’agit. Depuis la présidentielle de décembre 1965, première du genre au suffrage universel, je suivais avec passion la politique française : événements de Mai 68, départ de De Gaulle en avril 1969, présidentielle (bien fade !) de 1969 entre Pompidou et Poher, etc. La France s’était donné un nouveau président, homme de valeur, nous savions que de Gaulle s’était retiré, qu’il était allé en Irlande juste après son départ, puis en Espagne (voir Franco !) en 1970.

 

Et moi, de mes douze ans, je me demandais souvent à quoi ce retraité employait ses journées, si ce n’est la rédaction de ses Mémoires. Nous nous disions que, peut-être, l’ermite de Colombey reviendrait une fois encore sauver la France, comme en 40, comme en 58. Hélas, nous étions là dans des années heureuses, les Trente Glorieuses, le plein emploi, et rien de pire que le bonheur pour un homme du destin. Cette France-là, deux ans après 68, ne s’ennuyait même plus, elle s’emmerdait carrément à cent sous l’heure, Pompidou était un gestionnaire du bonheur bourgeois, une sorte de Guizot de « l’Enrichissez-vous », il n’était même pas encore malade, les chocs pétroliers ne pointaient pas encore à l’horizon.

 

Moi, je jouais avec mon ami Bertrand, je lisais « Le Monde » à la Bibliothèque municipale, mais aussi Zola et les Pieds Nickelés. Et l’hiver, j’engloutissais les murs de Tortin et du Mont-Gelé, jusqu’à trois ou quatre fois par jour. Mon héros absolu, en cette année 1970, s’appelait Bernhard Russi, qui avait remporté la descente des championnats du monde, en février, à Val Gardena. A midi, ce 10 novembre, nous avons mangé devant la télévision française (noir blanc), édition spéciale bien entendu, je me souviens très bien de gens, dans les rues de Paris, qui regardaient, à travers la vitrine, la mort de De Gaulle dans des magasins de TV, qui diffusaient les programmes.

 

L’après-midi, à l’école, je ne m’en souviens pas. Mais le soir, prodigieuse soirée spéciale, toujours à la TV, qui avait évidemment eu le temps de préparer ses archives. Er cette soirée, avec la rétrospective de la vie du grand homme, je l’ai enregistrée sur mon Sonny noir, seulement la partie sonore bien sûr. Et cette cassette-là, qui était orange, j’ai bien dû l’écouter dix sept mille fois dans ma vie de jeune homme. Elle doit être encore quelque part, dans un carton.

 

Le surlendemain, notre professeur de mathématiques, René Ledrappier, un enseignant d’exception, qui était le père de mon ami Bertrand, prenait congé pour aller à Colombey, aux funérailles. Son père à lui, lieutenant de chars, était tombé face aux Allemands lors de la percée des Ardennes, en mai-juin 1940. Je me souviens enfin que, M. Ledrappier s’étant absenté, nous eûmes ce jour-là, pour les mathématiques, un remplaçant prénommé Zénobe.

 

Le week-end suivant, dans une librairie d’Annemasse, mon père, à ma demande, m’offrait, dans la collection bleue de chez Plon, les Mémoires de Guerre. Je lui en suis infiniment reconnaissant. Ce fut l’un des plus beaux de tous mes cadeaux. Ultime souvenir : ma mère m’acheta le numéro spécial de Paris Match, qui ne m’a jamais quitté, ne me quittera jamais, et où se trouve le plus grand article jamais écrit par un journaliste : la description de la journée des funérailles par Jean Cau. Avec cette dernière phrase : « Il est vivant ».

 

Pascal Décaillet

 

 

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