Chronique publiée dans le Matin dimanche - 28.02.10
Il est un peu fou, mais il est génial. Il dit toujours la même chose, et chaque fois on l’écoute. Collés. Scotchés. Son verbe à lui est la bonne aventure, « éparse au vent crispé du matin » (Verlaine), il est chaleur et lumière, je ne partage pas le dixième de ses convictions, mais chaque entretien avec lui est une fenêtre sur la vie qui recommence. Oui, Jean Ziegler a du charisme. Il fait partie des gens que je préfère : ceux qu’on déteste.
Un humain n’est pas sur terre pour être aimé, mais pour se battre. Quand nous avons vu débarquer Ziegler, pour l’interview, il revenait d’un meeting à Olten, la ville des gens qui se pendent et des cheminots qui vomissent sur les rails : il avait harangué des militants, la veille, puis avait dormi dans le très riant quartier de la gare. Un « meeting » ! A 75 ans. A l’heure de Facebook, il continue, lui, de faire des meetings. Et devant nous, il ouvre sa valise, et l’after-shave s’est ouvert, et il y en a partout. Un peu Che Guevara, un peu Mister Bean, c’est Jean Ziegler.
Et pendant qu’il prononce les mots irrévocables, étrillant Merz, napalmisant l’UBS, saluant (eh oui !) Stauffer, je me dis que la folie de cet homme-là, qui nous parle des consciences cumulées allant vers la résurrection, vaut mille fois les syllogismes des pisse-froid. Il nous parle, et nous comprenons : en quoi est-ce un crime ? L’image est juste, le verbe brûlant, le rythme saccadé, l’hyperbole nous ensorcelle. Il est fou, et alors ?
Au royaume des raisonneurs et des raisonnables, des conseillers fédéraux qui couchent avec l’algèbre pour enfanter des « solutions », voilà le verbe de l’opprobre et de l’amour, l’appel à la fraternité, voilà l’Imprécateur. Avec Ziegler, l’heure de Léon Bloy a sonné. Vous avez bien lu : pas celle de Blum. Celle de Bloy.
Pascal Décaillet