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Liberté - Page 545

  • Parler du monde, loin des cocktails

     

    Sur le vif - Jeudi 09.01.20 - 13.48h

     

    De Genève, nous devons assurément parler du monde. Car le monde est là, qui se presse dans notre ville, c'est précieux.

    Nous devons parler du monde, nous montrer totalement ouverts, curieux, aux événements de la planète, aux peuples, à nos frères humains venus d'ailleurs. Lorsque nous parlons du monde, c'est d'eux que nous devons parler, dans toute leur diversité, à eux que nous devons donner la parole.

    A eux, et pas spécialement aux apparatchiks de la "Genève internationâââle" (à prononcer comme "sociétâââl"). Car enfin, le but de notre ouverture est de parler du monde, non de se faufiler dans les cocktails des Ambassades ou des Missions internationales. Donnons la parole à ceux qui ne l'ont guère, n'allons pas surajouter au cliquetis verbal des officiels.

    A cet égard, tout en réaffirmant mon attachement profond à la couverture du vaste monde, en offrant des clefs de compréhension (c'est particulièrement valable pour l'Orient compliqué, où je me suis souvent rendu, et pour lequel je me passionne depuis l'enfance), je m'insurge avec la dernière énergie contre cette prétention, répétée ces dernières semaines, à "couvrir la Genève internationâââle".

    Non, désolé. Ca n'est pas le lieu organique des rencontres qu'il s'agit de valoriser en soi, pas plus que les pierres d'un théâtre ne dépasseraient en intérêt l'action scénique. C'est l'objet même des discussions qui doit être au centre. En évitant à tout prix (de mon point de vue) le cortège des officiels et la liturgie de la pensée autorisée. Et en valorisant au maximum les acteurs, les délaissés, ceux qui souffrent et ne bénéficient guère de tribune, ceux qui se battent pour la reconnaissance d'une nation, ou tout au moins d'une dignité humaine.

    Telle est ma conception, humaine et fraternelle, ouverte, éprise de connaissance et de partage, et non engoncée dans des codes cravatés, de la couverture internationale, à partir de Genève.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Noirceur du pouvoir

     

    Commentaire publié dans GHI - 08.01.20

     

    2019 aura été, dans nos contrées, une année de préoccupations sociétâââles (à prononcer en prenant un air savant, et en laissant négligemment traîner le « a » final). On nous a construit, dans tous les sens, la théorie des genres, on a déconstruit (le mot qui fait fureur, plus prétentieux, à lui-seul, que tous les Marquis de Molière) nos stéréotypes. On nous a délivré du Mâle. On nous a annoncé la fin du patriarcat. On nous a corrigé la langue, les accords, on est venu polluer nos phrases, sous couvert d’épicène, de signes inutiles, plus lourds que le plomb. On nous a prédit la fin des nations, l’Apocalypse du climat. On n’a cessé de nous promettre un monde nouveau. Quel monde ?

     

    2020 pourrait bien être l’année du retour à des réalités plus dures, plus terrestres. La permanence des nations, contre les toiles multilatérales. La puissante volonté de cohésion des communautés humaines, au sein de frontières bien définies, et non à l’échelle d’un improbable messianisme universel. Entre les peuples, des rapports de forces. Entre les humains, la noire, la sinistre, l’éternelle malédiction du pouvoir, celle qui corrode et corrompt toute aspiration à la beauté des liens.

     

    Cette malédiction, nul n’y échappe. Ni les femmes, ni les hommes, ni les jeunes, ni les vieux. Dès qu’un humain envisage d’exercer sur un autre une forme quelconque de pouvoir, dès qu’il envisage d’exercer une domination, il entre dans ce chemin de mort qui nous disperse et nous divise. Nul d’entre nous n’y échappe : ni vous, ni moi, ni personne sur la Terre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • Les manifestants professionnels

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 08.01.20

     

    Il y a un sketch extraordinaire, de Jean Yanne et Daniel Prévost, qui s’appelle « Le manifestant professionnel ». En un demi-siècle, ce dialogue n’a pas pris la moindre ride. Jean Yanne s’y livre à l’interview d’un bonhomme ayant choisi pour métier de descendre dans la rue, ayant même suivi pour cela deux ans d’une école très sérieuse, « l’Institut des Hautes Études en Manifestation », avec cours théoriques, exercices pratiques, comme « confection des pancartes » ou « lancer du pavé ». Ce sketch, qui date juste d’après Mai 68, aurait pu être écrit aujourd’hui, à la virgule près.

     

    Car à Genève aussi, nous avons nos manifestants professionnels. Ils ne sont pas les défenseurs d’une seule cause, mais de toutes, pourvu qu’ils puissent descendre dans la rue, provoquer bruit et fureur, se donner l’illusion des barricades de 1830 ou 1848, voire – suprême frisson genevois - du 9 novembre 1932. Ils ne manifestent pas pour un objet précis, non, ils assument leur destin de manifestants éternels, comme si cette fonction relevait de la naissance, d’une nature, de prédispositions génétiques : je manifeste, donc je suis.

     

    Le manifestant professionnel se trouve être, dans 99 % des cas, une personne de gauche. C’est ainsi : la droite, à Genève comme en France, a un peu perdu le contact avec la rue, depuis 1945. La gauche s’y est installée, y règne en maître, s’y sent chez elle, descend même dans la rue contre des pouvoirs de gauche, considérés comme sociaux-traîtres. Surtout, la gauche genevoise aime religieusement prendre l’air, avec sa liturgie, ses processions, en exhibant ses idoles à elle. A cet égard, le cérémonial du 1er Mai apparaît comme une version profane et sécularisée de la Fête-Dieu, avec son soleil, son printemps, ses couleurs, l’organisation de son cortège, les Clercs tout en avant, les servants, et toute l’armada processionnelle qui se déploie dans l’espace public.

     

    Le manifestant professionnel est un être ayant profondément besoin de prendre l’air. Ah, sortir, posséder la rue, bouffer le bitume, laisser jouir d’extase ses cordes vocales, s’insérer comme un percussionniste dans la scansion des slogans, se sentir en phase avec le groupe. Alors, peu importe la cause : allons-y pour les Kurdes, le climat, la libération des genres, le congé-paternité, les soins dentaires remboursés, la retraite à 60 ans. Sortons, hurlons, faisons le plein de couleurs et de tintamarre, plongeons corps et âme dans la liturgie du Grand Soir, il en restera bien quelque chose.

     

    Le manifestant professionnel passe une partie de sa vie dans la rue, à rêver la Révolution. Il arbore, comme dans les saintes processions, le rouge écarlate, sanguin, sacrificiel. Il tient le pavé comme d’autres, le Missel. Il prie ses slogans, en chœur, d’une même voix. Il sanctifie la colère, annonce le combat pour des lendemains qui chantent. Il est entré en manifestation comme d’autres, en religion. Il a toujours raison. Rien ne le détourne. La vérité, pour toujours, est avec lui.

     

    Pascal Décaillet