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Liberté - Page 1204

  • Faits d'hiver

     

    Sur le vif - Mardi 17.01.12 - 16.22h

     

    Eh quoi, que voudraient-ils, tous ces puristes ? Ils voudraient des purs ? Des saints ? Mais ils se trompent d'ordre ! Qu'ils entrent en religion. En carmel. Qu'ils se défassent de leurs biens, les donnent aux pauvres, sillonnent le désert dans la foulée du premier prophète. Mais la politique, la fonction exécutive, c'est autre chose. La politique, ça n'est pas la morale. Ni, bien sûr, l'immoralité. Simplement, ce qui fonde l'action politique est d'un autre ordre. Ni celui du mal contre le bien. Ni vraiment celui du bien contre le mal.

     

    A quoi devons-nous juger un ministre ? A l'efficacité de son action publique. Oh, à cette aune-là, un Mark Muller aurait assurément des comptes à rendre : on ne peut pas dire que ses dossiers avancent très vite, on attend désespérément le début d'érection de la moindre tour du côté du PAV, on prend acte avec inquiétude de la fronde des communes contre le Plan directeur cantonal. Tout cela, oui, qui est d'ordre public, parlons-en. Mais ce qu'il a fait, ou n'a pas fait, au Moulin à danses dans la nuit du réveillon, ne relève, comme je l'ai écrit ici dès le premier jour, d'aucune espèce d'intérêt public. Il est en conflit juridique avec un barman ? Eh bien que la justice tranche ! C'est une voie de fait parmi des centaines d'autres, à Genève. Un fait d'hiver.

     

    Ma position, vous la connaissez. Je n'en changerai pas. Mais je lis les commentaires, un peu partout. Et je vois bien que la majorité de l'opinion publique ne l'entend pas de cette oreille. Et va dans le sens, que je déplore profondément, d'une américanisation de notre vie politique. Pour ma part, je n'en veux à aucun prix. La vie privée des magistrats - comme d'ailleurs, plus généralement, la vie privée des gens - ne doit pas nous intéresser. Un conseiller d'Etat a le droit d'être amoureux de qui il veut, de sortir dans les bars qu'il veut, de faire la fête comme il veut. Et une altercation, un soir de réveillon, avec un barman, ne constitue aucunement, à mes yeux, un cas de démission ou d'impeachment, procédure qui n'existe d'ailleurs pas chez nous.

     

    Ce qui me gêne le plus, c'est l'effet de paravent. Avec Muller le castagneur au premier plan, voilà que disparaissent dans une ombre salutaire les carences de Mme Rochat. Qui sont, en termes de fonctionnement républicain - l'autorité élue qui doit s'imposer, anticiper, inventer le langage plutôt que de le suivre - d'un autre danger que les faits d'hiver. Mais peut-être, en cette période où le thermomètre descend, le fait d'hiver échauffe-t-il davantage nos esprits et nos sens. Nous, humains, trop humains. Et la politique, elle, n'est ni humaine, ni morale, ni inhumaine ni immorale : elle est la politique. Et c'est dans sa logique propre qu'elle doit être jugée.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Mark et les gens qui s'aiment

     

    Sur le vif - Dimanche 15.01.12 - 10.19h

     

    Ce qui est formidable, dans l'affaire du Moulin à danse, c'est que Mark Muller a la chance d'avoir derrière lui un parti uni. Comme un seul homme. Même les femmes. Je parle ici du parti libéral (je suis comme les Français de mon enfance, je parle encore en anciens francs). Chez ces gens-là, Monsieur, aucun clan. Nulle faction. Nulle chapelle. Nul club, d'aucun jour de la semaine. Nulle rancoeur. Nulle fierté patricienne, même jaunie comme les portraits de famille, pour mépriser le parvenu. Ah, il a vraiment de la chance, Mark Muller, pour affronter les jours qui viennent, tiens disons par exemple mardi. Ah, la Sainte Félicité. Ah, les braves gens!

     

    Pascal Décaillet

     

  • Il n'y a pas d'affaire Mark Muller

     

    Sur le vif - Samedi 14.01.12 - 11.00h

     

    Madame Rochat a décidément beaucoup de chance. Non seulement une coagulation de pouvoir allant jusqu'aux Verts la protège (parce qu'il en va, tout simplement, de la survie de cette coalition même). Non seulement les députés de l'Entente (élargie aux Verts), les mêmes qui se montrent les plus féroces, à son égard, en privé, l'épargnent lorsqu'ils s'expriment au grand jour. Mais voilà qu'en ce début d'année, deux autres conseillers d'Etat servent de dérivatif et de diversion à la très mauvaise gestion politique de la police : Madame Künzler, pour cause de TPG, et surtout, depuis hier soir, Mark Muller, catcheur nocturne. Du coup, on parlera beaucoup moins des carences de Madame Rochat. Et l'ordre continuera de régner sur Genève. Quel ordre ? Celui de l'équipe au pouvoir. Élargie aux Verts.

     

    Eh bien pour ma part, je refuse de jouer ce jeu. Nous devons juger les politiques, à commencer par les ministres, sur leurs actes publics, en aucun cas sur leur vie privée. Qu'on attaque Mark Muller sur la lenteur de ses dossiers, le plan directeur cantonal, aucun problème. Mais une bagarre, dans une boîte, la nuit du réveillon, cela concerne Mark Muller et le barman. Pas la République. Dans sa vie privée, le conseiller d'Etat a le droit d'aller où il veut, être amoureux de qui il veut, s'échauffer face à qui il veut, s'il estime son honneur - ou celui d'une amie - en cause. Il aura peut-être à en répondre, parce que les bagarres, pas plus que les duels, ne demeurent impunies. Mais même s'il devait être désavoué, cela n'aurait strictement rien à voir avec son activité publique. Il n'y a pas d'affaire Mark Muller.

     

    En revanche, il y a bel et bien une affaire Rochat. Oh, sur le plan privé, j'en témoigne, la plus aimable des personnes. Mais, désolé, une ministre qui a échoué. L'autorité de l'Etat, face à la police, ne s'est pas imposée. La communication : catastrophique. Pire : la conseillère d'Etat, publiquement, charge ses subordonnés, à commencer par une cheffe de la police qui fait remarquablement son travail, serre les dents face aux admonestations de sa magistrate, jouit de la confiance de sa base, comme le relève l'excellente enquête de Fabiano Citroni, dans la Tribune de Genève de ce matin.

     

    Mais las ! Il faut sauver le soldat Rochat. À tout prix. Pourquoi ? Parce qu'elle est le maillon faible du gouvernement. Au-delà, le maillon faible de la coalition d'intérêts (élargie aux Verts) citée plus haut, entendez l'actuelle majorité de pouvoir à Genève. Celle qui se partage postes et prébendes ! Si ce maillon-là devait céder, c'est cette majorité, au demeurant protéiforme, hasardeuse, sans épine dorsale idéologique, juste là par communauté d'intérêts, qui volerait en éclats. Et c'est exactement pour cela que les députés de cette coalition, oui les mêmes qui pestent dans le privé, se la coincent en public. N'en soyons, simplement, pas dupes.

     

    Au fait, je suis si distrait : ai-je songé à rappeler que cette coalition de pouvoir, d'intérêts, de partage des postes, pouvait, de plus en plus, se féliciter de la très étroite collaboration des Verts ?

     

    Pascal Décaillet