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  • En Pologne, les missiles

     

    Sur le vif - Mardi 18.10.16 - 17.00h

     

    En politique, et surtout en stratégie, il ne faut surtout pas écouter ce que les gens racontent. La première arme de la guerre, c'est la propagande. Observons donc les faits. Et considérons le réel : il y a, implantés en Pologne, qui fait maintenant partie de l'OTAN, des missiles américains directement pointés sur la Russie. Une situation encore inimaginable, il y a quelques années.

     

    Cela, c'est le legs des années Obama. Ce délicieux Président sortant aura passé huit années à ne rien faire de très précis sur le plan géostratégique, ne rien conduire jusqu'au bout. Mais sur ce terrain-là, celui de l'Europe orientale, celui de ces Marches intermédiaires entre l'Allemagne et la Russie, il a mené une action très précise : l'installation de ces missiles en Pologne, pointés vers la Russie. Cela, ça n'est pas du rêve, ni de l'interprétation, c'est du factuel, vérifiable.

     

    A partir de là, une question : qui, en Europe, ces dernières années, se conduit comme potentiel fauteur de guerre ? Les Russes ? Je ne le pense pas.

     

    Qui, pour la première fois depuis le 8 mai 1945, a bombardé, du ciel, une capitale européenne, qui s'appelle Belgrade ? C'était en avril 1999, j'étais dans le bureau de l'ancien Chancelier allemand Helmut Schmidt, à Hambourg, pour l'interviewer, au moment où les bombardements commençaient. Qui, ce jour-là, a bombardé Belgrade ? Les Russes ? Je ne pense pas.

     

    Le Président sortant, M. Obama, donne l'impression de soigner son image devant l'Histoire. Il ne veut pas associer ses huit ans au pouvoir au déclenchement d'une guerre majeure. Il s'est montré, à cet égard, un Président prudent, cherchant l'équilibre, ce qui est à la fois une grande qualité, et une sérieuse limite.

     

    En attendant, en Pologne, les missiles sont là. Pointés vers la Russie. Si j'étais Russe, je n'apprécierais que moyennement cette situation. Les missiles sont là, Obama n'en aura pas fait usage. Mais la personne qui lui succédera, à la Maison Blanche ? Imaginez qu'elle entretienne depuis longtemps, cette personne, des liens avec le lobby de l'armement aux États-Unis, le clan belliciste, le clan des faucons.

     

    A partir de là, oui, en partant du réel, donc des missiles, et non des grands discours, pourra commencer l'analyse d'une situation stratégique sur l'état des forces à l'Est de l'Europe.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Alain Juppé, le candidat du convenable

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    Sur le vif - Dimanche 16.10.16 - 15.25h

     

    C’est fait. Plus besoin de suivre le moindre débat, ni de lire le moindre journal, jusqu’en mai 2017. C’est fait : Alain Juppé sera le huitième président de la Cinquième République. Ainsi en ont décidé les médias. La presse française, ou ce qui en tient encore lieu, disons ces fragments blanchâtres de satellites gravitant autour des salons parisiens. Mais aussi, notre bonne presse romande, qui trottine et patine derrière sa sœur aînée, comme une Bécassine, toute heureuse de se rendre aux Comices agricoles.

     

    C’est fait : la presse a décidé. Comme elle avait décidé, à l’automne 1994, que le président du printemps suivant serait soit Delors, soit Balladur, et nul autre. Ce fut Chirac 1. Comme elle avait décrété, l’automne 2001, que le président de mai 2002 serait Lionel Jospin. Ce fut Chirac 2. Excitations d’arrière-saison, comme ces rêves de fêtes, dans la grande peinture flamande. Imaginaires de cocagne. Ça vous réchauffe, ça vous fouette l’avenir. A l’approche du Père Noël.

     

    Donc, ils ont tous décidé que Juppé serait président. Il gagnerait d’abord les primaires. Puis, serait dans les deux premiers, avec Marine Le Pen, au soir du premier tour, en avril 2017. Puis, en mai, il battrait cette dernière, grâce à un formidable « Front républicain », digne de 2002.

     

    Les choses se passeront-elles comme cela ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’Alain Juppé est, en cet automne 2016, le candidat du convenable. Sautant allégrement tous les obstacles à sa place, les observateurs le voient déjà incarnant la dignité des « valeurs républicaines » contre la Bête immonde, au second tour. Comme Chirac terrassa son père, il aurait la peau de Marine.

     

    Le candidat du convenable. Je l’ai observé, au débat, l’autre soir. Je l’ai trouvé assurément très présentable, mais complètement éteint. Un discours éthéré, technocrate, énarque années 70, une rhétorique des années Giscard, où les élites politiques nous snobaient avec des concepts inaudibles. Coupé des réalités. Surtout, je ne lui ai pas trouvé beaucoup d’envie.

     

    Mais cela n’importe pas : la presse, unanime, dès la fin de l’émission, nous annonçait que Juppé avait gagné le débat. Je crois que ses titres étaient déjà prêts avant. Et même si Juppé n’était pas venu, pour cause de grippe, on aurait quand même titré qu’il avait gagné. Parce qu’à tout prix, il devait l’emporter. Pour que ça corresponde au parfait scénario des journalistes. Ils ont écrit la partition, merci de bien vouloir la jouer.

     

    Tout cela est bien beau. Mais une élection n’est pas un train électrique. Nul d’entre nous ne sait ce qui peut se passer, en France et sur la scène internationale, d’ici au printemps 2017. Nul ne possède les vrais éléments d’appréciation pour toiser le véritable état de mécontentement de l’électorat français, face aux partis « traditionnels ». Je vous invite juste à vous reporter, au plus près, aux résultats des dernières communales et régionales. Nul, surtout, ne peut prévoir cette magie des dernières semaines que constitue, sous la Cinquième, la rencontre d’un homme – ou d’une femme – avec tout un peuple.

     

    Seulement voilà, il paraît qu’il faut Juppé. Parce qu’il est le candidat du convenable. Parce que même la gauche va infiltrer massivement les « primaires » de la droite pour voter pour le Maire de Bordeaux. Parce qu’on s’entend déjà, à droite et à gauche, pour faire du candidat du convenable (que les socialistes détestaient lorsqu’il était à Matignon, entre 1995 et 1997) le champion de la République réconciliée. Contre la Bête immonde.

     

    La France se résoudrait-elle, six mois avant l’échéance, à un président par défaut ? En ces temps extraordinairement difficiles, est-ce vraiment là le destin qu’il faut souhaiter à notre grand voisin ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Un Nobel qui dynamite les convenances

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    Sur le vif - Vendredi 14.10.16 - 17.29h
     
     
    Ma considération pour l'institution du Nobel de littérature est pour le moins relative. S'il faut saluer, entre autres, les choix de Thomas Mann (1929), André Gide (1947), Giorgios Seferis (1963), Pablo Neruda (1971), Odysseus Elytis (1979), Günter Grass (1999), JMG Le Clézio (2008), on est tout de même ahuri de découvrir le nom, de pure convenance, d'un Winston Churchill (1953), même si ses Mémoires de Guerres sont un pur chef d’œuvre, j'en conviens volontiers. Surtout, on se demande comment ces lointains jurys scandinaves ont pu oublier des hommes comme Franz Kafka, Bertolt Brecht ou Paul Celan. Considération très relative, donc.
     
     
    Mais une chose me froisse. Le mépris, depuis hier 13h, avec lequel certains accueillent l'attribution du Nobel 2016 à Bob Dylan. Sous le prétexte qu'il ne serait "qu'un chanteur". Du coup, pourquoi pas les Beatles, les Stones, Brel, Brassens, Ferré, Trenet, Barbara, etc. ? Je ne suis en rien un spécialiste de Dylan. Mais j'affirme que, dans le mépris de certains face au couronnement d'un aède (sur le principe), il y a une très grande méconnaissance de ce qui fonde toute une partie de notre patrimoine littéraire : le monde de l'oralité.
     
     
    Si le Nobel avait existé avant 1883, j'eusse plaidé avec vigueur pour qu'on l'attribuât à Richard Wagner, auteur d'une oeuvre totale, dont il était, parmi tant d'autres éclairs de génie, le parolier. De même, après la Première du Deutsches Requiem de Brahms (18 février 1869, Gewandhaus, Leipzig), on aurait pu, 323 ans après sa mort, couronner Martin Luther, pour sa traduction de la Bible (1522), qui porte d'un bout à l'autre l'Histoire musicale allemande.
     
     
    Alors oui, en lisant toutes ces réactions de mépris face au couronnement d'un chanteur, ou d'un homme chantant ses poèmes, je rappelle timidement que le plus grand des poètes, celui qu'on appelle Homère, à qui on attribue l'Iliade et l'Odyssée, qu'il fût seul ou qu'ils fussent plusieurs, en tout cas n'a jamais rien écrit de sa vie, jaillissant d'une civilisation de la seule oralité, celle des aèdes. Vous ne pensez pas, pourtant, que l'Iliade ou l'Odyssée auraient mérité un petit Nobel, pour la route ?
     
     
    Je suis un passionné d'écriture, mais aussi un passionné de l'oralité. Deux mondes différents, vraiment ? Ce que je dis d'Homère peut, encore plus, se rapporter au monde des troubadours et des trouvères, aux saisissantes traditions orales balkaniques - serbes, notamment - avec leurs variations sur le mythe d'Antigone, celles dont parle si bien George Steiner.
     
     
    Alors, Dylan ? Quand j'ai entendu l'annonce du Prix, hier 13h, j'ai trouvé cela fantastique. Parce que le monde de l'écrit rendait soudain hommage, au titre de la "littérature", à un immense chanteur, ayant admirablement travaillé l'orfèvrerie des mots, marqué toute une génération, atteint des centaines de milliers d'oreilles, de consciences, de cœurs, sur la planète. Je ne suis pas sûr que tous les couronnés, depuis Sully Prudhomme en 1901, puissent se targuer d'une telle pénétration du vaste public.
     
     
    Voilà. C'est tout. Dans les Nobels oubliés, chacun peut ériger son Panthéon. Je rêve souvent, à l'irréel du passé, d'un Nobel qui aurait récompensé, ensemble, Bertolt Brecht et Kurt Weill. Parce que leurs petites chansons, composées par un musicien de génie et l'un des plus grands créateurs de mots (avec Luther) de la langue allemande, me trottent jour et nuit dans la tête. Vive l'oralité. Vive la poésie sonore, chantée, expulsée.
     
    Expulsée d'où ? De nos tripes, ou du Paradis ? Et si c'était la même chose ? Excellente soirée à tous.
     
     
    Pascal Décaillet