Sur le vif - Dimanche 28.02.16 - 16.01h
Le discours politique au soir d’une votation, nous le connaissons tous : si le peuple a voté comme on voudrait, hommage à lui, à son infinie sagesse, son sens de l’humanité, de la mesure. Dans le cas contraire, on dira qu’il s’est fait manipuler par des populistes, par les forces de l’argent qui ont mis tant de moyens dans la campagne, par les arguments de l’émotion, face à la Raison triomphante. Tous les politiciens, de tous bords, tous les dimanches de votations, vous sortiront ces arguments-là, c’est le jeu.
Là, pour prendre mon cas de citoyen habitant en Ville de Genève, je fais partie d’un corps électoral qui devait se prononcer sur treize sujets ! Quatre fédéraux, huit cantonaux, un municipal (le Musée d’Art et d’Histoire). Sur treize, on n’est jamais totalement gagnant, ni totalement perdant. On gagne sur cinq ou six, on perd ailleurs, on mélange ses joies et ses peines, c’est la vie. Ainsi va notre démocratie suisse, qui ne rejette pas une moitié du pays pour un élire une autre sur l’Olympe. Non, on mélange. On brasse. Chacun d’entre nous, de Genève à Romanshorn, sera ce soir un peu content, un peu déçu.
Pourtant, ce dimanche, il y a un vainqueur : la démocratie directe. Il y a eu des lois votées par des élus, elles ont été attaquées en référendum, outil parfaitement constitutionnel, et de nature à clarifier les choses, puisqu’il propose l’arbitrage du suffrage universel. A part quelques clercs intermédiaires, qui s’en plaindra ? De même, il y a eu des initiatives : dans les cantons, au niveau fédéral, des mobilisations citoyennes, humant un sujet que les élus ne pouvaient ou ne voulaient percevoir, ont réussi à récolter des signatures, et nous ont donné rendez-vous aujourd’hui pour la décision. On a fini par leur dire oui, ou non, ça n’est pas l’essentiel : ce qui compte, c’est que les OUTILS de la démocratie directe ont été utilisés par les citoyens, nous avons eu de vastes débats (au niveau d’une ville, d’un canton, de notre Confédération), tous ont pu s’exprimer, et au final le souverain a tranché. C’est cela, notre recette en Suisse. Cela, notre trésor. A cela, nous nous ne devons en aucun cas toucher.
Non seulement la démocratie directe suisse, notamment le droit d’initiative, ne doit pas être revue à la baisse, comme le souhaiteraient tant de clercs et d’élus intermédiaires, mais ce système mérite, dans les décennies qui nous attendent, que les générations suivantes lui inventent de nouveaux modes de fonctionnement. En aucun cas pour virer à la démocratie d’opinion, ou de sondage, où il suffirait à tout moment de cliquer pour décider. Non, bien sûr. Mais d'ici cinquante, cent ans, plus encore peut-être, la mise en réseau des connaissances aidant, on peut escompter une participation accrue du suffrage universel aux décisions de la Cité.
Cela, à une impérative condition : que s’élève le niveau de connaissance des citoyens sur les enjeux politiques. Le temps des diligences, des Diètes parlementaires coupées du monde pendant plusieurs semaines, est révolu : le principe même de délégation peut être appelé à évoluer. Mais sans un travail en profondeur sur la connaissance partagée, nulle évolution ne sera possible, ni d’ailleurs souhaitable. Démocratie et compétence, décision et connaissance, ces enjeux se discutaient déjà à l’époque d’Aristote, puis bien sûr dans celle des Lumières, qui précéda et annonça la Révolution française. Là se trouve l’essentiel de notre avenir politique. Encore bien lointain, j’en conviens. Mais il n’est pas interdit, un dimanche de votations, de tenter de se projeter. Hors de la mêlée. Quelque part, dans le champ du possible, et les pistes du destin.
Pascal Décaillet