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  • Fiscalité : le réveil salutaire du centre droit

     

    Sur le vif - Samedi 25.08.12 - 16.01h

     

    Face aux attaques hallucinantes lancées, en matière de fiscalité, contre la Suisse, il convenait depuis longtemps de hausser le ton. Une bonne partie de la classe politique suisse, hélas, a mis des années à courber l’échine, voire enfouir la tête sous le sable, comme si la cécité pouvait empêcher la tempête. Depuis des années, notre pays donne l’impression de suivisme, n’ayant jamais l’initiative, se contentant au mieux, comme un enfant pris en faute, de tenter d’inventer des répliques, au coup par coup.

     

    Il fallait réagir, oui. Au centre droit, famille charnière dans ces questions-là, Philippe Nantermod fut le tout premier, il y a trois semaines, à déclarer que l’accord sur les successions, avec la France, devait être rejeté. Aujourd’hui, face aux délégués du PDC suisse, à Bâle, c’est Christophe Darbellay qui a donné de la voix, à propos cette fois des Länder allemands, notamment du ministre des Finances de Rhénanie du Nord – Westphalie, et de l’achat de CD contenant des données fiscales volées : « Un Land allemand qui soutient des pratiques illégales est indigne d’un Etat de droit démocratique et européen. Nous n’acceptons pas ces méthodes criminelles, et encore moins d’être noircis et accusés au bout du compte ».

     

    Entre Nantermod et Darbellay, il y eut trois semaines d’un salutaire réveil dans la famille du centre droit. Beaucoup d’autres personnalités politiques situées dans l’espace entre la gauche et l’UDC, qui jusque-là brillaient par leur discrétion quand elles ne rasaient pas les murs, ont enfin laissé sortir un autre discours que celui d’une culpabilité qui n’a absolument pas lieu d’être. La Suisse, depuis des années, est attaquée, avec une hargne inouïe, par des pays qui n’ont strictement aucune leçon à lui donner en matière fiscale : les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont des paradis fiscaux, l’Allemagne et surtout la France pratiquent des taux totalement confiscatoires. La France se révèle incapable, depuis bientôt quatre décennies, de nous sortir un seul budget qui ne soit pas dans les chiffres rouges. Face à cela, la Suisse, avec son frein à l’endettement, ses mécanismes anti-déficits, n’a absolument pas une seule seconde à rougir.

     

    Je dois avouer que ce réveil rhétorique du centre droit me surprend en bien, il nous sort du marais poitevin, des silences attentistes. Il affirme, en matière fiscale en tout cas, la solidarité de ces partis avec le reste de la droite suisse, celle qui n’a pas attendu cet été pour agir par voie de démocratie directe. Voilà au moins un effet intéressant, sur notre plan intérieur, des chantages de Washington, Londres, Paris et Berlin : ils auront contribué à une amorce de réconciliation des différents courants de la droite suisse.

     

    Quant aux ennemis de l’intérieur, avec leur naïveté, leurs illusions d’ordre multinational, leur appel à « l’interdépendance », leur ignorance totale des vraies contingences de l’Histoire, qui sont rapports de force et rien d’autre, en un mot leur inculture, laissons-les à leurs illusions. Unies, les droites suisses ne représentent pas loin de deux tiers du corps électoral, assurément du Parlement fédéral. Qu’elles le fassent savoir. Nous avons, sous la Coupole fédérale, l’une des députations les plus à droite d’Europe, l’un des partis socialistes les plus timides. Pourquoi diable les représentants des partis dits « bourgeois » sont-ils aussi timides, là où ils sont clairement majoritaires, et ont mandat du peuple d’agir dans un certain sens? Nous sommes là dans le domaine de l’inhibition. Je n’ai pas de réponse. Et la psychanalyse ne relève pas de mes compétences.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le silex étincelant des idées


    Suite de mes entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey - Vendredi 24.08.12 - 10.43h


    GB – Quel est le rôle d’un journaliste au sein de notre société, Pascal ? Je m’interroge sur cette épineuse question depuis des lustres. Et aujourd’hui, plus que jamais, je puis légitimement me la poser, car c’est cette voie-là que je désire suivre. C’est pourquoi je vous le demande, vous qui avez de la bouteille dans ce domaine. Informer comprend également certains risques, n’est-ce pas ?
     
    PaD – Il y a tant de fonctions dans le journalisme ! Assurément elles évoluent avec les sociétés: nous ne sommes plus à l’époque de Théophraste Renaudot, ni même à celle des Illusions perdues, de Balzac, dont l’un des personnages est un célèbre journaliste. Ni, non plus, dans cette extraordinaire effervescence du tournant des deux siècles (19ème, 20ème), Affaire Dreyfus, Zola, Barrès, qui fut le sommet de la presse militante. En 2012, au moment où vous vous lancez dans le métier, la presse est au coeur d’une mutation sans précédent. Mais elle le fut toujours, à bien scruter son Histoire.
     
    GB – Je n’en doute pas. Je suis peut-être idéaliste. Ou alors totalement déconnecté de la réalité, je n’en sais rien. Nous sommes des êtres humains, qui avons chacun nos propres référentiels, ce qui, inévitablement, a des conséquences sur l’orientation de nos propos. Je crois vraiment, peut-être à tort, que le métier d’informer comporte des devoirs, notamment celui de réfléchir à l’information délivrée. Mais il semble que ma pensée ne soit pas dans l’air du temps, eu égard aux réactions qu’elle engendre.
     
    PaD – Tout cela est codifié, dûment, et vous aurez largement l’occasion de vous y initier durant vos deux ans de stage (car je suis persuadé que vous le ferez, et deviendrez journaliste). L’information est-elle juste ? L’ai-je vérifiée sur plusieurs sources ? Quel est l’intérêt de ceux qui me l’ont donnée ? Surtout, j’ajouterai pour ma part: est-elle d’intérêt public? A cet égard, je ne supporte pas qu’on aborde la vie privée des gens. Et condamne sans relâche la dérive, dans ce sens, d’un quotidien romand du matin.
     
    GB – J’ai déjà lu quelques ouvrages traitant du sujet. En effet, ces vérifications sont essentielles, en tout cas d’un point de vue théorique. Mais en pratique, après avoir discuté avec de nombreuses personnes qui sont dans le métier depuis longtemps – dont vous –, il apparait que l’ère du net a considérablement réduit le temps nécessaire à ces vérifications et aux interrogations que peuvent susciter la divulgation – ou non – d’une information spécifique. Dès lors, que faut-il faire pour veiller à respecter ces codes ?
     
    PaD – Le net est un outil extraordinairement pratique. Il a révolutionné nos métiers. Pour ma part, je ne vois pas exactement en quoi le fait de disposer d’un ordinateur (plutôt que des vieilles machines à écrire sur lesquelles j’ai commencé, au Journal de Genève) devrait nous dispenser, lorsque nous travaillons sur une info exclusive, de procéder aux vérifications nécessaires. Mais vous savez, le fameux “intérêt de la source”, il n’est pas à questionner seulement sur les scoops. Mais sur toute donnée d’informations: pourquoi le Conseil d’Etat, tel jour, organise, sur tel sujet, telle conférence de presse ? Vous y découvrirez que ces grands-messes aux allures placides sont toujours des actes de pouvoir, de monstration, de majesté. Beaucoup, hélas, recrachent tels quels les propos du pouvoir. Ce qui est un métier (fort honorable, d’ailleurs) de porte-parole. Mais pas de journaliste.
     
    GB – Nous sommes d’accord sur ce point, vous et moi. D’ailleurs, lorsque je vous regarde interviewer certains politiciens sur Leman Bleu, je prends toujours beaucoup de plaisir à vous voir leur poser des questions embarrassantes. C’est cela que j’aime. Vous partagez ma position qui est de ne pas caresser le pouvoir dans le sens du poil. Il ne faut pas non plus le conspuer à tout va. Mais il est impératif de l’interroger, de le remettre en question. Pour moi, c’est cela, le métier de journaliste. D’un point de vue intellectuel, ce domaine est passionnant. Pour chaque information, des dizaines de questions s’interposent. J’aime ça.
     
    PaD – Il me semble primordial que chacun ait un regard. Nous assisterions, vous et moi, à un même événement. Mais nos articles, assurément et c’est tant mieux, ne seraient pas les mêmes. Une fois l’info donnée, il y a toute la dimension que chaque sensibilité viendra lui donner. Et surtout, osons le commentaire. Un journaliste, ça n’est pas un eunuque. Ca n’est pas un douanier (qu’avez-vous à déclarer ?). C’est quelqu’un qui propose une vision. Mais sur ce point, comme vous avez commencé par cela, jouant un peu avec les charrues et les boeufs, je n’aurai pas grand peine à vous convaincre.
     
    GB – Oui, et en l’occurrence mes opinions semblent parfois déranger certains individus qui exercent ce métier. Les commentaires, et je le regrette, sont bien souvent proscrits, à moins d’être indépendant, comme vous. Il faut se contenter, hypocrisie totale, de transcrire l’information. Comme s’il y avait une objectivité quelconque dans cette façon de faire. Rien de tout cela n’est vrai, et j’espère un jour qu’en Suisse, d’autres journaux tenteront, comme le fait le Courrier, l’expression d’opinions, fussent-elles en désaccord avec le plus grand nombre.

    PaD – Le Courrier est un journal courageux, que j’admire, malgré l’océan qui nous sépare. De même, Gauchebdo. Je rêve que la presse romande retrouve le goût salé du combat, du verbe militant, du silex étincelant des syllabes et des idées, lorsqu’elles s’entrechoquent. Rejoignez cette profession. Vous en avez les qualités.


    GB + PaD

  • "Rien n'est drôle - Sauf ce qui est drôle"


    Suite de mes entretiens avec le jeune humoriste Grégoire Barbey - Jeudi 23.08.12 - 13.05h



    PaD – Je n’aime pas les humoristes. Ils ne me font pas rire. Et se révèlent souvent, dans la vie, des personnages sinistres. Le saviez-vous ?
     
    GB – Serait-ce mon actuel engagement au sein de Vigousse qui vous fait aborder ce sujet, cher Pascal ? Je ne connais pas suffisamment d’humoristes pour souscrire à vos propos, malheureusement.
     
    PaD – J’aime l’humour, mais pas les humoristes. C’est très impopulaire de dire cela, je sais, mais j’assume.
     
    GB – Pourtant je vous connais une admiration profonde pour Eric Stauffer et Philippe Nantermod…

    PaD – Il existe, en France, une chaîne continue qui ne diffuse que des sketches humoristiques. Au premier (si on tombe bien), on rit aux larmes. Au deuxième, un peu moins. Après dix minutes, pour ma part, et quel que soit le génie des auteurs, je suis pris d’une nausée. Je crois que l’humour est une grâce, elle doit surgir de l’imprévisible, évidemment là où on l’attend le moins. Mais la production industrielle d’humour, non merci. C’est pourquoi je m’interroge sur ceux qui en font métier. J’en admire certains. Mais ne les envie pas.

    GB – Pour ma part, je me suis souvent ennuyé durant les sketchs de certains humoristes. D’autres m’ont fait rire. Mais qu’importe, que cela soit l’humour ou des domaines tout à fait différents, il s’agit aujourd’hui de produire, pour répondre à la demande, et augmenter ses bénéfices. Peut-être est-ce cette course à la création qui dénature toute chose.

    PaD – C’est le statut d’humoriste qui m’intéresse. Se lever le matin en se disant: «Je vais faire rire. Je vais produire de l’humour. J’ai intérêt à être drôle, sinon je perds mon job». Je trouve cela totalement horrible, angoissant. Et à la limite du sinistre. C’est une chose, profondément, qui me fait peur. Contraire à la grâce de l’imprévisible. Je n’aimerais pas être à leur place. Je ne trouve pas, à la vérité, que l’humour soit drôle. Les humoristes, encore moins. Remarquez que moi-même, je ne me trouve pas drôle du tout.

    GB – C’est pourtant un métier comme un autre. Vous connaissez sûrement l’adage «panem et circenses». Les gens aiment l’humour. Être distraits. Dès lors, l’humoriste est investi d’un rôle essentiel dans la cohésion sociale, car il permet à monsieur et madame tout le monde d’oublier leurs petits problèmes quotidiens. Les tracasseries du matin. Ces mécènes du rire voient peut-être leur tâche différemment. Ils se disent, avec une certaine fierté, qu’ils vont permettre à des personnes de passer un moment agréable. Tout simplement. Non ?

    PaD – L’humoriste serait donc un assistant social. Je veux bien. Mais c’est la question du talent qui me tarabuste. Se lever le matin avec pour tâche de produire de l’humour ne résout pas l’imprévisible de la grâce. Et cela, les humoristes doivent bien le savoir. Et l’immensité de cette angoisse (vais-je être drôle ?), je ne sais pas comment ils peuvent l’assumer. La question se pose aussi pour le poète. Pour l’amant. Le soupirant. Mais là, c’est encore moins drôle. Voulez-vous que je vous dise: rien n’est drôle. Sauf ce qui est drôle.

    GB – Les humoristes ont leurs astuces, comme tous les corps de métier. À force d’exercice, ils savent ce qui fonctionne infailliblement, et en cas de doute, ils sortent leurs jokers, afin de ne pas perdre la main. Mais si rien n’est drôle, sauf ce qui est drôle, la vie vaut-elle la peine d’être vécue ?

    PaD – L’astuce, c’est bon pour la mécanique du rire, celle qu’on nous décrit depuis l’Antiquité et qui a intéressé les plus éminents philosophes, dont bien sûr Bergson. Mais l’astuce – en humour, comme en écriture, comme en amour – ne garantit pas l’imprévisible de la grâce. L’une de mes filles m’a annoncé hier être tombée face à un chamois, en pleine forêt. J’aime. Ca n’est pas drôle. Mais c’est une grâce.

    GB – Alors de grâce, Pascal, dorénavant, essayez d’être drôle !


    GB + PaD