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"Rien n'est drôle - Sauf ce qui est drôle"


Suite de mes entretiens avec le jeune humoriste Grégoire Barbey - Jeudi 23.08.12 - 13.05h



PaD – Je n’aime pas les humoristes. Ils ne me font pas rire. Et se révèlent souvent, dans la vie, des personnages sinistres. Le saviez-vous ?
 
GB – Serait-ce mon actuel engagement au sein de Vigousse qui vous fait aborder ce sujet, cher Pascal ? Je ne connais pas suffisamment d’humoristes pour souscrire à vos propos, malheureusement.
 
PaD – J’aime l’humour, mais pas les humoristes. C’est très impopulaire de dire cela, je sais, mais j’assume.
 
GB – Pourtant je vous connais une admiration profonde pour Eric Stauffer et Philippe Nantermod…

PaD – Il existe, en France, une chaîne continue qui ne diffuse que des sketches humoristiques. Au premier (si on tombe bien), on rit aux larmes. Au deuxième, un peu moins. Après dix minutes, pour ma part, et quel que soit le génie des auteurs, je suis pris d’une nausée. Je crois que l’humour est une grâce, elle doit surgir de l’imprévisible, évidemment là où on l’attend le moins. Mais la production industrielle d’humour, non merci. C’est pourquoi je m’interroge sur ceux qui en font métier. J’en admire certains. Mais ne les envie pas.

GB – Pour ma part, je me suis souvent ennuyé durant les sketchs de certains humoristes. D’autres m’ont fait rire. Mais qu’importe, que cela soit l’humour ou des domaines tout à fait différents, il s’agit aujourd’hui de produire, pour répondre à la demande, et augmenter ses bénéfices. Peut-être est-ce cette course à la création qui dénature toute chose.

PaD – C’est le statut d’humoriste qui m’intéresse. Se lever le matin en se disant: «Je vais faire rire. Je vais produire de l’humour. J’ai intérêt à être drôle, sinon je perds mon job». Je trouve cela totalement horrible, angoissant. Et à la limite du sinistre. C’est une chose, profondément, qui me fait peur. Contraire à la grâce de l’imprévisible. Je n’aimerais pas être à leur place. Je ne trouve pas, à la vérité, que l’humour soit drôle. Les humoristes, encore moins. Remarquez que moi-même, je ne me trouve pas drôle du tout.

GB – C’est pourtant un métier comme un autre. Vous connaissez sûrement l’adage «panem et circenses». Les gens aiment l’humour. Être distraits. Dès lors, l’humoriste est investi d’un rôle essentiel dans la cohésion sociale, car il permet à monsieur et madame tout le monde d’oublier leurs petits problèmes quotidiens. Les tracasseries du matin. Ces mécènes du rire voient peut-être leur tâche différemment. Ils se disent, avec une certaine fierté, qu’ils vont permettre à des personnes de passer un moment agréable. Tout simplement. Non ?

PaD – L’humoriste serait donc un assistant social. Je veux bien. Mais c’est la question du talent qui me tarabuste. Se lever le matin avec pour tâche de produire de l’humour ne résout pas l’imprévisible de la grâce. Et cela, les humoristes doivent bien le savoir. Et l’immensité de cette angoisse (vais-je être drôle ?), je ne sais pas comment ils peuvent l’assumer. La question se pose aussi pour le poète. Pour l’amant. Le soupirant. Mais là, c’est encore moins drôle. Voulez-vous que je vous dise: rien n’est drôle. Sauf ce qui est drôle.

GB – Les humoristes ont leurs astuces, comme tous les corps de métier. À force d’exercice, ils savent ce qui fonctionne infailliblement, et en cas de doute, ils sortent leurs jokers, afin de ne pas perdre la main. Mais si rien n’est drôle, sauf ce qui est drôle, la vie vaut-elle la peine d’être vécue ?

PaD – L’astuce, c’est bon pour la mécanique du rire, celle qu’on nous décrit depuis l’Antiquité et qui a intéressé les plus éminents philosophes, dont bien sûr Bergson. Mais l’astuce – en humour, comme en écriture, comme en amour – ne garantit pas l’imprévisible de la grâce. L’une de mes filles m’a annoncé hier être tombée face à un chamois, en pleine forêt. J’aime. Ca n’est pas drôle. Mais c’est une grâce.

GB – Alors de grâce, Pascal, dorénavant, essayez d’être drôle !


GB + PaD

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