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  • Les chemins de traverse d’Eric Leyvraz

     

    Portraits - Samedi 28.05.11 - 10.18h

     

    Nœud papillon ou foulard de gentleman-farmer, il chemine à son rythme, trace le sillon. Si vous le croisez et que vous êtes pressé, ne vous aventurez pas à lui demander ce qu’il pense du nucléaire, vous raterez à coup sûr votre train. Eric Leyvraz, 65 ans cette année, vigneron à Satigny et ancien président du Grand Conseil, est un cinglé des questions d’énergie, qu’il connaît sur le bout des doigts. Cerveau bien fait, incroyable mémoire : l’un des seuls, dans la classe politique genevoise, avec qui on puisse avoir une conversation sur les gouvernements successifs de la Quatrième République, leurs forces et leurs faiblesses, Mendès il connaît, Edgar Faure, Laniel et Félix Gaillard aussi.

     

    L’un des problèmes majeurs des politiciens d’aujourd’hui est leur inculture crasse, y compris sur l’histoire et les fondements théoriques de leurs propres partis. C’est particulièrement valable pour le PDC, où rares sont ceux qui ont vaguement entendu parler de Léon XIII ou du Sillon, du Zentrum bismarckien ou du MRP. Les partis devaient faire passer à leurs postulants des examens d’entrée : qu’on se pique un peu de Fazy avant d’espérer devenir radical, de Tocqueville pour se prétendre libéral, de Guesde, Jaurès ou Willy Brandt avant d’oser se dire socialiste. Ou "du nain vert Obéron qui parle avec sa fée", pour les aspirants climatiques.

     

    Eric Leyvraz est un homme cultivé, dans le meilleur sens du terme. On sent qu’il a beaucoup lu, on devine les vies intellectuelles parallèles de cet ingénieur EPFZ, les chemins de traverse dans des champs d’Histoire et de poésie, le goût de la langue et de la syllabe, qui l’amènent à déclamer des passages entiers d’Hugo. Rien de cela ne peut s’être acquis, au fil d’une vie, sans une époustouflante force de solitude. De celles qui régénèrent. Et conduisent au salut. Avec un petit s, certes. Mais, sur cette terre, c’est déjà pas mal.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Maudet, Blocher, et le peuple de la nuit

     

    Sur le vif - Vendredi 27.05.11 - 16.51h

     

    La Suisse de Christoph Blocher est-elle à ce point incompatible avec celle de Pierre Maudet ? Le pays des valeurs traditionnelles, le sentiment tellurique qu'on éprouve pour un lieu, un paysage, doit-il à tout prix s'opposer à celui des échanges et de l'ouverture ? En mettant face à face les deux hommes, le Temps a réalisé une belle opération, en tout cas marketing. Mais cette dialectique-là, où tout concourt au contraste le plus vif, jeunesse contre vieillesse, gauche du parti radical contre droite de l'UDC, allumé urbain contre hobereau des fêtes de lutte à la culotte, relève, à bien des égards, de l'artifice. En réalité, en Suisse, les radicaux, sur 80% des sujets, sont proches de l'UDC. Fulvio Pelli, avec qui je viens de passer une partie de la matinée à Lausanne, en compagnie d'Alexis Favre, nous le confirmait encore tout à l'heure.

     

    Le débat, dans les colonnes du Temps, est très intéressant. Mais il faut prendre les choses en amont : hormis pour les délices de souligner les fractures internes aux droites suisses, pourquoi ce quotidien a-t-il organisé cette opération ? Pour exalter les vertus d'ouverture et de modernité des héritiers des Lumières face à l'obscurité de la Vieille Suisse, celle de la terre et du sentiment d'appartenance ? A ce petit jeu, pour le lectorat de l'arc lémanique - celui du Temps - notre jeune urbain branché obtient évidemment une victoire facile. Il apparaît comme porteur d'avenir et visionnaire, là où son adversaire demeurerait captif du passé. Le récurrent, l'éternel cliché de la droite libérale, et pro-européenne, contre l'UDC. Qui n'a d'ailleurs jamais empêché cette dernière de progresser, élection après élection, ni les « éclairés » de régresser. La Suisse serait-elle, en son âme dormante, un peuple de la nuit ?

     

    Pierre Maudet est presque un radical de gauche, Blocher assurément un UDC très à droite. Maudet fait partie du quart des Suisses (et de la très petite minorité au sein du parti radical) qui rêvent d'aller dans l'Union européenne. Blocher, des trois quarts de nos compatriotes qui n'en rêvent pas. Maudet est jeune, brillant, impatient. Blocher septuagénaire, incroyablement combattif, mais il sait se montrer immobile, briscard, patient. Il y avait donc tous les ingrédients pour réussir un binôme de rêve : oui, le Temps a réalisé un excellent coup. Derrière l'éclat marketing, une réalité toutefois : les radicaux et l'UDC, en Suisse, peuvent collaborer sur une multitude de sujets, allant de la gestion des finances publiques à la fiscalité, en passant par l'énergie (ils savent, eux, résister aux modes d'un moment), une bonne partie des sujets agricoles. Vouloir absolument opposer ouverture et fermeture, jeunesse et vieillesse, réseaux et solitude, relève, pour le moins, de l'artifice. Ce que nous offre le Temps, c'est un débat Maudet-Blocher. Ca n'est en aucun cas le débat national PLR-UDC.

     

    Dommage enfin que le plus jeune ait cru bon de brandir à certains moments la carte de l'arrogance : « Deux visions s'entrechoquent et ne peuvent se rencontrer : celle d'une Suisse repliée sur elle-même, peureuse et vivant dans la nostalgie, et celle d'un pays conscient de ses atouts, interconnecté et tourné vers l'avenir. » Mythologie du réseau, génération Facebook, érigée face au crétinisme alpin de quelques idiots de village, perclus de solitude et incapables de rompre avec leur passé : ce petit jeu d'urbain branché passe peut-être dans les quartiers bobo de Genève et de Lausanne. Il n'est pas si sûr que le « peuple de la nuit » l'entende ainsi. Nous le verrons au soir du dimanche 23 octobre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L’Homme debout

     

    Sur le vif - Jeudi 26.05.11 - 10.52h

     

    En politique, mais au fond partout aussi dans la vie, j’ai besoin d’avoir face à moi des hommes debout. Quand je dis « hommes », c’est bien sûr « hommes ou femmes », ne venez pas m’emmerder avec l’épicène.

     

    Restons à la politique. Christian Grobet est un homme debout. A 70 ans, il se bat comme au premier jour. Rude, rugueux, insupportable. Détesté. C’est sa grandeur. Un homme qui cherche à être aimé est déjà mort. Il vivra une autre vie, sans doute agréable, qui ne m’intéresse pas.

     

    Pierre-Yves Maillard est un homme debout. Mon ami Vincent Pellegrini, qui paye très cher la solitude de ses options spirituelles, et néanmoins ne les renie pas, est un homme debout. Philippe Barraud, seul sur son site comme Siméon le Stylite au milieu du désert, est un homme debout. Les moines, les sœurs, les ordres mineurs sont des congrégations d’hommes et de femmes debout. Parce qu’ils ont choisi. Mon autre ami Jean-François Duchosal, qui chemine en pèlerin, est, avec une inimaginable puissance, un homme debout. Alberto Velasco est un homme debout.

     

    Il y a tant d’hommes et de femmes debout, dont il faudrait parler. Dans les marges. Marge de gauche (Salika est une femme debout), marge de droite, irrédentistes préconciliaires, vieux fous, imprécateurs, défenseurs des pauvres et des malades, infirmières d’EMS, tant d’anonymes à qui je veux, ici, rendre hommage.

     

    Et puis, quelque part au niveau du sol, il y a l’homme couché. Horizontal. Celui qui ne vit que par le réseau, le cocktail. Oui, il y a la nauséabonde multitude des faux amis, tout comme il y a, chez Verlaine, le sublime poème des « faux beaux jours ». Lumière, étincelante, de la syllabe.

     

    Uli Windisch, attaqué de partout par la cléricature, est un homme debout. Tout comme Jean Ziegler est un homme debout. Freysinger, Despot sont des hommes debout.

     

    Cyril Aellen est un homme debout. Qu’on retrouvera, un jour.

     

    Je n’ai parlé ici ni des saints, ni des héros, ni d’ailleurs des salauds. L’homme horizontal, l’homme de cocktail, n’est même pas un salaud. Il y a, chez le salaud, comme une majesté du mal dont l’homme en réseau n’est même pas digne.

     

    Pascal Décaillet