Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Suffrage universel

    Samedi 29.08.09 - 09.30h

    Depuis près de vingt ans, je plaide pour l’élection du Conseil fédéral par l’ensemble des citoyennes et citoyens de notre pays. Avec, bien sûr, des garanties pour représenter les régions minoritaires. Avec, aussi, une réforme complète de notre système : des gouvernements cohérents, élus par listes, issus d’une vraie bataille d’idées, de visions de société, pendant les élections, que leur camp aurait gagnées. Des gouvernements de gauche. Des gouvernements de droite. Mais pas des gouvernements patchwork, où n’importe qui peut démissionner, par pure convenance, en plein milieu de législature, et où on se contente, au fond depuis 1848, de remplir les trous. Le collège qu’on appelle aujourd’hui « Conseil fédéral » n’est pas un gouvernement : c’est la juxtaposition de sept fiefs, sous l’amicale supervision de cette impuissance impersonnelle qu’on appelle la présidence de la Confédération. Oui, depuis vingt ans, je soutiens cette option-là, conscient qu’elle est encore minoritaire dans notre pays.

    Dans la présente série, "Dis Papa, c'est encore loin, le 16 septembre?", j’ai passé une partie de l’été à réfléchir à l’étrangeté de notre système et suggérer des pistes de réformes. Correspondant à Berne, puis pendant de longues années de déplacements constants sous la Coupole, j’ai passé de longues heures à en discuter avec des hommes comme Gilles Petitpierre (GE), René Rhinow (BL), ou Fritz Schiesser (GL), des radicaux passionnés d’institutions, dans la pure veine de ceux de 1848. Des esprits libres, sans tabous, avec une veine réformatrice qui stimulait l’esprit.

    Dans la sévérité du diagnostic sur le système actuel, il y a l’hypertrophie de pouvoir, en comparaison internationale, donné au parlement : non seulement c’est le corps des 246 qui élit les conseillers fédéraux, mais, pire, ce sont les groupes politiques qui, quelques jours avant, ferment complètement le jeu en imposant au plénum ceux pour qui il doit voter ! Unique au monde. Il y a eu, certes, de Tschudi à Chevallaz, des élus qui n’étaient pas sur le ticket final, mais cela devient rare, le cercle parlementaire étant de plus en plus clos et, paradoxalement à l’époque d’internet, de moins en moins à l'écoute de qui lui est externe, et qu’on pourrait appeler les forces vives de la nation. C’est l’une des clefs de l’éviction, hier soir, de Pascal Broulis.

    La décision du groupe, hier soir, et notamment sa composante la plus surprenante, a dû être le fruit, cet été, d’un important travail interne de conviction. Le Genevois Hugues Hiltpold, hier matin sur Radio Cité, lui qui avait donné des signaux pour Broulis mais ne les donnait plus, rendait hommage au « sens de l’Etat des libéraux genevois sous la Coupole ». Ses sentiments pour Martine Brunschwig Graf étant ce qu’ils sont, il n’en restait plus qu’un, le signal était clair. Ce travail interne, quasiment au corps à corps, des grands électeurs, n’a rien de condamnable. Il demeurera l’une des règles du jeu pour gagner, tant que le système sera ce qu’il est.

    Car c’est le système, justement, qu’il faut changer. Une fois élus, les conseillers fédéraux adorent aller à la rencontre du peuple. Prendre des bains de foule. Serrer des mains. Mais à la rencontre de quel peuple, s’il vous plaît ? Juste une « population », avec laquelle il n’ont passé nul contrat, devant laquelle ils n’ont pris nul engagement. Ça n’est pas le peuple citoyen (dèmos), non c’est juste la « Bevölkerung », la chaleur de la masse, la masse alibi, agréable, thermale, revigorante. Parce qu’ils ne sont pas les élus du peuple. Mais juste ceux du parlement. Dans la tragédie antique, ce peuple-là ne serait même pas le chœur, qui chante et qui s’exprime. Non, juste un décor.

    Alors, pourquoi s’adressent-ils au peuple, pourquoi prennent-ils si doctement la parole pour Nouvel An, la Journée des Malades ? Ils n’ont, avec ce peuple, qu’un lien indirect, celui de l’élection parlementaire, dont les règles et la logique sont si différentes de celles de l’onction universelle. C’est cela, selon moi, qu’il faut changer. Avec douceur. En entamant une vaste réflexion nationale. En prenant le temps. Sans populisme plébiscitaire ni bonapartisme. En évitant (ce qui sera difficile, je le sais) de laisser instrumentaliser cette cause par un seul parti, qui en ferait sa chose. N’appartient-il pas au fond, aux autres de s’en emparer aussi ?

    Vaste programme ! Ce sera pour la génération de mes enfants, pas la mienne. Mais la réflexion s’impose. Parce que le système actuel, de bric et de broc, de trucs et de ficelles, de trocs et de combines, n’est simplement plus satisfaisant.

    Une suggestion, enfin, de thèse de doctorat en Histoire, en linguistique ou en sciences politiques : comparer les argumentaires, pour ou contre le suffrage universel, dans la campagne française de 1962 (presque toute la classe politique était contre, le peuple a pourtant massivement été derrière la réforme proposée par Charles de Gaulle) avec l’argumentaire d’aujourd’hui en Suisse. Les points communs. Les divergences, liées à nos Histoires respectives. Ce serait franchement passionnant.

    Pascal Décaillet

  • Laissons dormir Pol Pot, Monsieur Halpérin…

     

    Vendredi 28.08.09 - 18.55h


    Ancien bâtonnier, voix sombre et profonde, rhétorique exemplaire, homme de culture, Michel Halpérin impressionne. En donnant pas mal de son temps d’avocat de renom à la politique, l’homme a réussi – pour un temps – le bel exploit de remettre un peu de calme dans un parti dévasté par deux présidences à côté desquelles le Chaos originel fait figure d’ordre cosmique. Hommage lui en soit rendu.

    La fin de la récréation sifflée, on pourrait même imaginer les libéraux genevois sur orbite, voire en voie lactée vers le zénith, puisqu’ils offrent à la Suisse, et jusqu’aux ultimes vallées rhétiques, le spectacle de deux candidats au Conseil fédéral. Ils auraient même, paraît-il, deux candidats au Conseil d’Etat, mais l’information reste à vérifier. Bref, le bonheur. A deux doigts du pré.

    Dans un tel état d’Irénée, était-il vraiment nécessaire, Monsieur le Bâtonnier-Président-Humaniste-Rhétoricien, de nous sortir le coup de Pol Pot ? Pensez-vous vraiment que l’alliance des socialistes et des Verts, à Genève, avec le Parti du Travail de Jean-Luc Ardite et Solidarités de Pierre Vaneck, mérite référence à l’un deux ou trois pires régimes du vingtième siècle ? Ce que vous venez de faire dans un communiqué, où vous n’omettez pas, dans un souci d’exhaustivité qui vous honore, de mentionner la Chine de Mao et la Russie des Soviets.

    Cette référence, Cher Maître, ne constitue-t-elle pas, en symétrie, une exagération aussi manifeste que l’évocation de chemises brunes ou noires, des ultimes soubresauts de la République de Weimar, de Thomas Mann, Visconti ou des Damnés, chaque fois qu’on parle de l’UDC ? Que les alliances du groupe adverse commencent à faire peur dès le moment qu’elles s’étendent, cela se peut concevoir. Mais faut-il à tout prix les diaboliser ?

    Surtout, cela est révélateur d’une grande nervosité, dans vos rangs, en cette deuxième partie d’été. Evocation hypertrophiée du thème sécuritaire, quitte à faire passer Genève pour une sorte de Bronx-sur-Léman. Radicalisation d’un discours qu’on avait connu, dans votre auguste voix, plus riche de nuances. Que se passe-t-il ? Viendriez-vous, peut-être, sourdement, à couver quelque doute sur la magie triomphatrice de votre double ticket pour le Conseil d’Etat ? Auriez-vous un maillon faible ? Deux maillons ? L’ensemble du maillage donnerait-il des signes de délitement ? Rêvez-vous de ponts qui s’écroulent, de mondes qui se terminent ?

    Une campagne politique est toujours un moment d’ivresse et de magie, avec des masques qui tombent, et la vérité des fureurs. C’est bien ainsi. Mais laissons juste dormir Pol Pot. La qualité habituelle de votre discours n’a pas besoin de lui pour s’imposer.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Broulis, la langue, la parole

     

    Jeudi 27.08.09 - 12.45h

     

    Au début était le verbe, qu’on pourrait aussi appeler la parole. Puis, plus tard, suite à quelque étourderie de verger, vinrent les langues. Il y eut Babel, il y eut deux mille Pentecôtes, il y eut ceux qui parlèrent et puis ceux qui se turent. Et puis, un beau matin, Pascal Couchepin s’en alla.

    Et là, il y eut mille feux sur l’un des candidats, Pascal Broulis, surgis de tant d’innocentes cendres, pour dire à quel point ça n’était pas bien de ne pas parler la langue de Brecht et de Rilke.

    Et de quantité d’ondes, souvent publiques, se mirent à jaillir mille procès en sorcellerie, Broulis l’unilingue, Broulis le monoglotte, Broulis le sous-doué, le sous-Berlitz. Sous la parure de l’innocence, on a thématisé la chose, multiplié les débats, brocardé son déplacement à Zurich, mardi soir.

    Nous nous sommes déjà exprimés, ici, sur la vanité de cette querelle, et Dieu sait pourtant si la langue allemande nous est chère. Nous devons ajouter aujourd’hui que le côté systématique de ces attaques devient un peu pénible. Et mériterait qu’on s’interroge sur les véritables motivations de leurs auteurs.

    Car enfin, de quoi s’agit-il ? De trouver à la Suisse un conseiller fédéral. Un successeur à Delamuraz, puis Couchepin. Une stature. Un sens de l’Etat. Un qui sache poser quelques grandes querelles, au-delà des vétilles, du tout-venant. Un qui sache affronter, mais aussi rassembler. Homme ou femme de parole, pour sûr. D’abord la parole, qui est sœur de l’action.

    La langue, ça n’est certes pas rien. Mais ça vient après.

     

    Pascal Décaillet