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Histoire allemande : le chemin de connaissance

 

Commentaire publié dans GHI - Mercredi 18.09.24

 

Un tiroir entier de photos noir-blanc dans de vieilles enveloppes étiquetées d’une écriture fine  : l’Allemagne des années trente. Ma mère y avait vécu, elle en avait rapporté d’admirables images de Würzburg, Fulda, Erlangen. Des châteaux, des scènes de chasse, des bâtiments qui n’ont pas survécu aux bombardements des années 44,45. Il émanait de ces images fascinantes un parfum de Vieille Allemagne, celle que la grande destruction aérienne avait reléguée dans le passé. Elles dataient des années trente, qui n’étaient après tout pas si loin, mais semblaient surgir du  fond du Moyen-Âge, si riche d’Histoire et d’architecture dans ces régions de la Franconie, de la Hesse et de la Thuringe, où ma mère avait vécu, en plein centre des Allemagnes. Dans mon cerveau d’enfant, c’était comme si 1945 avait tout détruit : il y avait l’avant, et l’après.

 

Dès l’enfance, puis pendant toute l’adolescence, puis toute ma vie d’adulte, j’ai sillonné l’Allemagne, avec une prédilection pour sa partie orientale, celle qui porta, de 1949 à 1989, le nom de DDR. Toute ma vie, j’ai recherché la Vieille Allemagne. Dans les années 60, 70, je m’en souviens parfaitement, on nous exhibait l’Allemagne médiévale, dont certaines petites villes magnifiques, comme Dinkelsbühl ou Rothenburg ob der Tauber, avaient totalement échappé aux bombardements. Les Allemands en étaient très fiers : pour eux, c’était une manière de nous dire  : « Regardez, nous aussi, comme l’Italie, nous avons un passé ! ». En 1971, par exemple, j’étais à Nuremberg, j’avais passé une journée à visiter la grande exposition des 500 ans de la naissance, dans cette même ville, de Dürer. J’y avais vu, au théâtre, le Götz von Berlichingen de Goethe, dont la langue m’avait saisi. J’y avais découvert les thèmes de Wagner. Le Moyen-Âge, encore et toujours ! Mieux que tout, j’avais visité la Saxe médiévale en 1978, avec des camarades d’études : c’était fascinant.

 

J’ai mis du temps à comprendre, il m’a fallu de longues années, mais j’ai enfin saisi que cette surexposition du passé médiéval des Allemagnes fonctionnait comme un paravent. Pour camoufler quelle autre période ? Le Troisième Reich ? Oui, bien sûr. Pour cette opération de diversion, on aurait pu nous servir la République de Weimar, ou l’époque bismarckienne, ou le 19ème romantique, ou le 18ème baroque, ou la Réforme, née en Allemagne, lorsque Luther, en 1522, traduisait la Bible en allemand de son temps. Mais non, ils avaient choisi le Moyen-Âge. Aujourd’hui, par la magie des algorithmes, je reçois tous les jours des centaines d’images du passé des villes allemandes. Depuis qu’existe la photographie. Toutes les villes, toutes les Allemagnes, à l’Est comme à l’Ouest, sur la Baltique comme en Haute-Bavière. Et cette puissance de l’image me restitue l’infinie variété des vérités. Elle est une leçon de méthode historique : laisser venir à soi les archives, les documents. Se construire une vision en tenant compte de toutes les complexités. Ce qu’on nous montre, ce qu’on nous a caché. C’est cela, le chemin de connaissance.

 

Pascal Décaillet

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