Sur le vif - Samedi 12.11.22 - 08.43h
Ramallah, Cisjordanie, 2005. Quelques mois après mon reportage radio en direct, au milieu d’une foule immense, pour les funérailles d’Arafat (novembre 2004), un concert se joue dans la ville.
C’est le moment fort du sublime reportage diffusé hier soir par Stingray Classica, sur la plus belle invention au Proche-Orient depuis juin 1967 : l’Orchestre israélo-palestinien, de Daniel Barenboim.
Dans ce miracle télévisuel, aucune traduction. Chacun parle dans sa langue. Barenboim s’exprime à la Knesset, où il vient de recevoir un Prix prestigieux. De longues minutes de discours à la tribune, en hébreu. On n’y comprend rien, et pourtant je vous jure qu’on est là, scotché face à cette langue éblouissante. On saisit l’essentiel : la présence. Sur une chaîne musicale, le paradoxe n’a rien d’anodin.
Je me suis rendu maintes fois au Proche-Orient, dans ma vie. Je veux la paix entre Israël et les Palestiniens. Je veux un État palestinien, depuis toujours. On n’y est pas. On n’en a jamais été aussi loin.
Il faut voir les visages de ces filles, tellement rayonnantes, et de ces garçons. Ces jeunes musiciens sont l’espoir du monde. Dans la fracture, ils créent le lien. Leur sourire est promesse de vie.
Ils ont, pour les diriger, un pianiste et un maestro d’exception, Barenboim est les deux à la fois. En 1999, il les a réunis. Quatre ans après l’assassinat de Rabin, qui avait, de sa vie, payé sa volonté de paix.
Et puis, il y a un autre Monsieur, dans le reportage. Il n’a jamais connu l’Orient, juste son Allemagne natale, puis toute sa vie à Vienne. En 57 ans de vie, il a révolutionné le langage musical. Complètement sourd, il a porté la musique dans les ultimes galaxies de la beauté. C’est lui que Barenboim et son Orchestre jouent, ce soir-là, à Ramallah. Il s’appelle Ludwig van Beethoven.
Au milieu de ces visages de lumière, dans cette Terre qu’on dit Sainte, l’élévation de l’Andante con Moto, deuxième mouvement de la Cinquième, et l’unité du monde qui surgit, dans la puissance inattendue de la comète. Juste un soir. Le temps d’un concert.
Pascal Décaillet