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Quand le Tages-Anzeiger chasse les sorcières

 
Sur le vif - Mardi 15.03.22 - 15.17h
 
 
"Êtes-vous communiste, répondez par oui ou par non !". Mon confrère Philippe Reichen, du Tages-Anzeiger, se rêve-t-il, la nuit, en Sénateur McCarthy, dans cette si charmante Amérique des années cinquante, qui chassait la sorcière comme d'autres s'en vont taquiner le goujon ?
 
Dans son édition du 10 mars, M. Reichen se rêve en dresseur de catalogues. Eric Hoesli, Guy Mettan, Myret Zaki : voici la liste rouge des journalistes romands. Leur tort : être "proches du Kremlin". En allemand dans le texte : Kremlnahe Journalisten". Deux mots fantasmatiques, on imagine couloirs et chausse-trappes, parapluies bulgares, micros cachés derrière le portrait de Pierre le Grand, roses aux épines empoisonnées, canons de 9 mm avec silencieux, codes cryptés dans des vers de Pouchkine, secrets d'alcôves avant l'aube fatale.
 
La nature des griefs est moins romanesque, et nous amènera davantage à nous interroger sur l'âme d'Inquisiteur de M. Reichen que sur le degré d'adhésion de ses trois sorcières aux thèses du Kremlin. Le journaliste du Tages-Anzeiger leur reproche... d'exprimer leur point de vue ! Pour lui, évoquer par exemple l'inexorable avancée de l'Otan, depuis la chute du Mur, en Europe de l'Est, relève du Conseil de guerre. Cela fait partie des choses qu'on ne doit pas penser, pas dire, pas écrire.
 
Alors, il prend trois noms. Il se trouve que ces trois-là sont parmi les meilleurs analystes, aujourd'hui, en Suisse romande. Trois esprits libres, qui en appellent à l'Histoire, au recul, à la culture, à la connaissance des langues, bref tout le contraire du moralisme dégoulinant des manichéens. Il prend trois noms, et les jette en pâture à son lectorat. Dans les années cinquante, dans l'Amérique de M. McCarthy, il aurait titré : "Ces trois-là sont communistes !".
 
Ca rime à quoi, son papier, dans le Tagi ? Dans le contexte dramatique que nous savons, désigner trois têtes, les flanquer sur une pique. Quel intérêt ? Quelle valeur ajoutée ? Un parfum de délation, pour délit d'opinion. Quelques essences de suspicion. Et surtout, une rare fragrance de néant. Notre débat démocratique, dans les heures sombres que nous vivons, mérite mieux.
 
 
Pascal Décaillet

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