Ceux qui se réclament à longueur d'année des Lumières méritent une réponse. Non la réponse de l'Ombre à la Lumière. Mais une réponse républicaine et démocratique. Pour leur dire, justement, que ni la République, ni la démocratie ne leur appartiennent. Pas plus qu'elles n'appartiennent à quiconque.
Les Lumières. Certains n'ont plus que ce mot à la bouche. Ils s'en gargarisent. De cet important mouvement de pensée qui, au milieu du 18ème, par l'action conjuguée des philosophes, des écrivains, des sciences, des éditeurs, de l'industrie et des métiers, eut pour ambition d'éclairer le monde, on dirait qu'ils font une religion.
Ils ne jurent que par les Lumières. Ils en ont parfaitement le droit. Mais cela mérite réponse. Pas la réponse de l'Ombre. Mais la réponse de ceux qui, peut-être, évitant la capitale au mot "Lumières", préféreront les énergies, plus modestes et plus intimes, des petites lumières du monde, passage de Lune ou sourire d'une Madone, au coin d'un oratoire, quelque part en montagne.
Car il arrive que leurs Lumières soient blafardes. A l'égal de ces néons d'hôpitaux, pâles, aveuglants. A tout vouloir illuminer, on en finit par banaliser la beauté du monde. Sa part de mystère, de musique. On aplatit les récits. On aseptise la langue.
Ils en ont le droit. Comme ils ont eu celui d'installer l'Être suprême : on a pu apprécier sa longévité. Ils en ont le droit, et nous avons celui de leur répondre. Nul connaisseur de la littérature, de l'Histoire des idées au 18ème siècle, ne songerait une seconde à sous-estimer l'importance des Lumières en France, de l'Aufklärung en Allemagne. Ni leur vertu de préparation intellectuelle aux formidables événements de la fin du siècle, la Révolution française.
Mais de là, chez certains aujourd'hui, à nous faire des Lumières une totalité d'adhésion, une universelle matrice ! Comme si ce mouvement constituait, dans l'Histoire humaine, la seule référence qui fût vraiment éclairante, là il faut gentiment leur répondre NON.
Pas le NON de l'Ombre à la Lumière. Mais le NON de la chantante pluralité du monde, le NON de la diversité de l'univers, le NON des innombrables énergies locales, particulières, le NON des Mystères de la religion grecque antique, le NON des cultes familiaux des Étrusques, le NON des monastères coptes des premiers temps chrétiens, le NON de l'infinie richesse de la pensée juive, le NON de la tradition du soufisme, le NON de tout ce qui, sur la Terre, donne à entendre une autre petite voix que la seule démonstration cérébrale de la Raison.
Si les Lumières deviennent à ce point une totalité référentielle qu'elles se transformeraient, à leur tour, en religion, incarnant l'absolu qu'au 18ème elles dénonçaient dans le pouvoir, par exemple, du Roi Louis XV, alors il nous faudra, nous, dénoncer en elles la prétention à l'éclairage universel. Nous retournerons à nos passages de Lune. Et aux sourires, si maternels, si bienveillants, si accueillants dans l'éveil du monde, de nos Madones. Sur les oratoires perdus de nos montagnes.
Pascal Décaillet