Sur le vif - 02.09.20 - 16.21h
Les gens qui, à longueur d'année, se réclament des Lumières, ont-ils vraiment lu les grands auteurs et philosophes de cet important mouvement du 18ème siècle ?
Pour ma part, je ne me réclame pas des Lumières. Mais ces auteurs, je les ai lus. Pour la France, et pour l'Allemagne. Pas pour l'Angleterre, je l'avoue.
A l'exception du génie absolu de Jean-Jacques Rousseau (dont les Confessions, puis les Rêveries, m'ont bouleversé à l'âge de vingt ans, dans l'un des moments les plus difficiles de ma vie), je ne puis dire que, sur le plan littéraire, les Lumières françaises m'attirent particulièrement.
Je ne parle pas des philosophes. Mais des écrivains. Je ne trouve pas toujours, dans ce moment du 18ème où Voltaire publie ses Contes, où les Encyclopédistes travaillent à leur oeuvre gigantesque, cette forme d'épaisseur stylistique dont le Roman du 19ème fera sa spécialité, puis celui du 20ème. Sans parler de la poésie.
Je ne mets pas ici en cause ces écrivains, mais les limites de ma réception personnelle. Comme lecteur littéraire, je n'ai guère besoin qu'on me démontre, il se suffit qu'on me montre, qu'on me donne à voir. Et à entendre. La littérature des Lumières me paraît souvent sèche, aride, hyper-cérébrale, conceptuelle, dénuée de sensualité.
Pour l'Aufklärung allemande, d'une grande richesse certes (j’admire particulièrement le grand philosophe Moses Mendelssohn, émancipateur des Juifs en Prusse), je nourris les mêmes préventions. J'ai quand même l'impression qu'à partir du Sturm und Drang (autour de 1770, au fond la sortie de Werther), c'est toute la puissance dormante de l'être sensible qui se réveille, dans la littérature germanique. Les mots renaissent à la musique. Les syllabes s'ensoleillent. Le récit revient. Les racines des mots germaniques se font à nouveau sentir, sonores, porteuses de mille chants. La seule démonstration cérébrale, abstraite, universelle, ne suffit plus. Ce moment de rupture, auquel je fus initié il y a plus de quarante ans par un très grand professeur, me fascine, vous le savez.
Je ne me réclame pas des Lumières. Mais je respecte ce mouvement. Je me demande simplement si ceux qui, aujourd'hui, s'en réclament, en ont vraiment lu les auteurs. Ou si, pêle-mêle, ils ne jettent pas tout dans un même panier : Lumières, droits de l'homme, démocratie représentative, liberté de circulation des idées, etc.
Les choses, à y regarder de près, sont autrement complexes. En tout cas pour les Allemagnes.
Pascal Décaillet