Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.03.20
Travail à distance, en réseau, grâce aux prodigieux progrès de la technique, travail à domicile, ne plus venir faire ses heures dans un bureau, avec de petits chefs qui vous épient. Mais accomplir une mission précise, sur la base d’objectifs à atteindre. Tout cela, et tant d’autres choses encore, s’invite dans nos vies d’une façon fracassante, à l’occasion de la crise que nous traversons. Une chose est sûre : lorsque la tempête sera passée, notre rapport à tous avec le monde du travail se trouvera profondément modifié par les expériences que nous aurons vécues. Beaucoup d’employés, beaucoup d’entreprises auront appris que le travail peut parfaitement s’opérer, dans de nombreux secteurs (les services, notamment), en totale décentralisation de ceux qui l’accomplissent.
Un modèle va prendre un terrible coup de vieux : celui qui consiste à se lever le matin, encombrer les transports publics ou privés, pour aller tirer ses huit heures dans un lieu appelé « bureau », puis grossir une seconde fois les routes le soir, pour rentrer à la maison. Cette double transhumance quotidienne, inutile et polluante, aura bientôt vécu. Qui s’en plaindra ? Qui, à part l’armada de petits chefs et sous-chefs, de cadres subalternes ou intermédiaires, de bavards de cafétérias, de discutailleurs dans les queues de machines à café ? Chaque entreprise doit savoir exactement pourquoi elle est là, ce qu’elle a à accomplir. Elle ne doit pas s’autonourrir de ses phénomènes internes. Ce qui compte, c’est l’objectif.
Bien sûr, tout dépend des métiers. Je parle ici de ceux, assez nombreux, où une présence physique n’est pas nécessaire, en tout cas pas sur le laborieux continuum d’une journée. L’idée même, née de la Révolution industrielle, et des machines à pointer le matin et le soir dans les usines, de « compter ses heures », est, dans bien des cas, une absurdité, tout juste bonne à servir d’argument, en cas de litige, à des syndicats ou des études d’avocats. Le petit entrepreneur, l’indépendant (dont on parle tant, ces jours), ne « compte pas ses heures » : il accomplit une mission ! Si elle est satisfaisante, on lui renouvellera peut-être sa confiance. Dans le cas contraire, non. C’est plus risqué, mais autrement motivant que de venir traîner ses guêtres au milieu de ses collègues. Beaucoup de tâches peuvent être accomplies à distance, par des personnes seules, compétentes, responsables, fiables.
La terrible crise sanitaire que nous traversons débouchera, si nous savons en tirer les leçons économiques, sur une révolution dans la manière de penser le travail. Puisse-t-elle aussi, certes dans la douleur, nous ouvrir des horizons vers une économie plus juste, plus proche, plus humaine. Au service, non du profit de casino, mais du bien-être des gens. Car enfin, à quoi sert le travail, si c’est pour asservir l’humain, alors qu’il peut l’affranchir, l’épanouir, le rapprocher de l’Autre ? En ces temps difficiles, je vous souhaite à tous une excellente semaine.
Pascal Décaillet