Comme journaliste, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de couvrir des manifestations, en direct sur place avec micro HF. J'ai même eu l'honneur, à deux reprises, d'inhaler les gaz des grenadiers de la police municipale bernoise, en 1991 et 1992, lors de méga-manifs de paysans, très en colère. Expérience plutôt violente pour l'appareil respiratoire, croyez-moi.
Mais comme citoyen, jamais participé à la moindre manif. Il est totalement contraire à ma nature d'aller hurler dans la rue, avec d'autres gens, même pour des causes que je partage. Cela n'est pas mon langage. J'exprime mon point de vue, depuis plus de trois décennies, dans des commentaires argumentés, avec ma voix ou ma plume, c'est mon mode, ma manière, cela me convient très bien.
Il est pourtant, dans toute l'Histoire récente, une manif à laquelle j'aurais voulu participer. Pas sur le moment (j'avais dix ans !), mais rétrospectivement. C'est celle dont nous marquerons demain le cinquantième anniversaire : la contre-manifestation massive de soutien à de Gaulle, le 30 mai 1968, pour siffler la fin de la récréation. On parle d'un million de personnes, sur les Champs : le plus grand rassemblement humain depuis la Libération (26 août 1944). L'un des plus massifs depuis les funérailles de Victor Hugo (1885), ou l'accueil d'Henri, Roi de Navarre, faisant sur le Pont-Neuf son entrée dans la capitale (1594), pour réconcilier le pays, recru de l'épouvantable épreuve des Guerres de Religion.
Je ne me réjouis pas du résultat politique de cette contre-manifestation : l'arrivée au pouvoir, en juin, d'une Chambre bleu-horizon, plus pompidolienne que gaulliste, la Chambre de la Banque Rothschild et des rentiers apeurés, bien en place jusqu'en 1973.
Non. Je ne me réjouis pas que Mai 68 se soit conclu par ce retour de manivelle. Alors que justement, autour du Général, gravitaient les brillants esprits du gaullisme social, des hommes comme Louis Vallon et René Capitant. Ils étaient en train de préparer de remarquables réformes, lorsque le maelström de Mai, figeant les fronts, a tout foutu en l'air. C'est l'une des causes de mon rejet viscéral de l'ensemble du mouvement.
Mais j'aurais tant aimé, ce 30 mai 1968, défiler sur les Champs. Sans haine pour personne. Mais juste pour affirmer mon soutien à un vieil homme de génie, qui depuis 28 ans avait tant fait pour la France. La Résistance. La Libération. Le droit de vote aux femmes (1945). La décolonisation. L'indépendance algérienne, et celle d'innombrables pays d'Afrique. Une nouvelle Constitution (1958), encore en vigueur aujourd'hui, 60 ans plus tard. La paix avec l'Allemagne, le Traité de Reims de 1962, avec Adenauer. Une politique étrangère extraordinaire d'audace, rejetant les deux blocs impérialistes du moment, prônant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dialoguant avec le monde arabe, avec les non-alignés. La France, alors, avait une Voix dans le monde. Comme jamais elle ne l'a retrouvée depuis, sauf peut-être lors de quelques éclairs d'un Villepin.
A ce vieil homme, qui venait de vivre 48 heures hallucinantes, promené par son hélicoptère jusqu'à Baden-Baden, abandonné de presque tous, en rupture de confiance avec Pompidou, lâché par un patronat qui l'a toujours détesté, j'aurais voulu, juste moi au milieu d'un million d'autres, apporter mon soutien, ma fidélité, mon affection.
Pascal Décaillet