Sur le vif - Dimanche 09.02.14 - 16.24h
Contre le Conseil fédéral, contre le Président de la Confédération, en campagne dès son discours du Nouvel An, contre la majorité de la classe politique suisse, contre l’immense majorité des médias, et notamment la campagne d’obédience de la SSR, contre la propagande d’enfer du PLR et du patronat, le peuple suisse a parlé. Il ne s’est pas laissé impressionner. Il a écouté sa petite voix intérieure. Et, souverainement, il a tranché.
Cette votation restera dans les annales. Non seulement parce qu’elle redéfinit nos critères en matière d’immigration. Mais surtout, parce qu’elle inverse, au sein de la droite suisse, le rapport de forces entre les adeptes du libre-échange absolu et ceux d’un contrôle des flux. Au sein de la gauche, elle redéfinit les forces entre les bobos et les réalistes, à l’instar de nos compatriotes tessinois, livrés de plein fouet aux mouvements migratoires lombards. Du Sud des Alpes, ils nous disent qu’ils sont Suisses. Ils nous disent qu’ils ont une autre ambition qu’être une simple banlieue de Milan. Et nous devrions, nous leurs compagnons de destin à l’intérieur de ce pays que nous aimons, demeurer sourds à leur appel ?
Il ne s’agit pas, nous le répétons ici depuis le début, d’une votation contre les étrangers. Ils ont contribué à faire ce pays, et nous aideront encore demain. Nous leur disons notre estime et notre respect. Nous avions juste à choisir, comme l’immense majorité des pays qui nous entourent, à l’issue d’un vaste débat populaire, une certaine régulation, dont le champ d’application demeure à préciser, pour nos flux migratoires. Il n’y a là rien de xénophobe, rien de scélérat. Juste la décision de remettre la politique au milieu du village. Le primat du peuple souverain, et des cantons, face à une jungle laissée, pendant une décennie, à la seule merci de milieux de l’économie dont certains ont trop profité, pratiquant la sous-enchère. Ils en récoltent aujourd’hui la sanction.
Ce 9 février 2014 marque aussi le grand retour d’un homme que trop de monde a cru bon d’enterrer un peu trop vite : il s’appelle Christoph Blocher, il a 73 ans, il fut conseiller fédéral avant d’être éjecté du Collège par un pronunciamiento que nous dénoncions ici le jour même, en décembre 2007. Ce retour déplaira à nombre de beaux esprits. Tout comme le scrutin d’aujourd’hui. Tout comme le pays réel, lorsqu’il s’oppose au pays légal. Oui, je sais le champ de références historiques de ces deux mots. Je les assume. En demeurant plus que jamais, pour ma part, à l’intérieur d’une démocratie que j’aime et dont je ne souhaite que la vivacité créatrice. Là où les corps intermédiaires s’endorment, que la démocratie directe se réveille.
Ce pays réel, il serait souhaitable que les médias s’en soucient un peu plus. Lui prêtent d’avantage l’oreille. Au lieu de le bouder, de haut, là où ne règnent que les mondanités où l’on s’acoquine avec les puissants. Un peu plus de solitude, de courage, dans ce monde des éditorialistes de Suisse romande, n’eût pas été de trop. Oui, ce pays réel, il faudra peut-être lui tracer une voie et lui donner des voix. Ce sera l’une des conséquences de la Suisse recomposée par le scrutin historique de ce dimanche 9 février 2014. Dans cet enjeu, je n’ai pour ma part nulle intention de demeurer inerte.
Pascal Décaillet