Commentaire publié dans le Nouvelliste - Mercredi 12.01.11
Hier matin, sur la RSR, Patrice Mugny, membre de l’exécutif de la Ville de Genève et bientôt préretraité dans la douceur nimbée d’un Larzac valaisan, regrettait que les débats audiovisuels tournent aux combats de coqs. Il a peut-être raison, M. Mugny. Mais moi, je dis qu’il ne manque pas de culot. Voici pourquoi.
Avant d’accéder au gouvernement de la Ville de Genève, au printemps 2003, Patrice Mugny était conseiller national, et même co-président des Verts suisses. Eh bien croyez-moi, pour avoir animé des dizaines de débats en direct du Palais fédéral en ces années-là, il était le plus coq de tous les coqs de combat. Pure race, type mexicain, ergot acéré comme une lame de rasoir, bec pugnace, ongles tétanisés d’extase. Antagoniste remarquable, l’un des meilleurs. Joueur, acteur, verbe efficace, puissant, sachant se laisser emporter par la colère, ou peut-être la feindre. Bref, un bretteur de la première espèce, une sorte de Cadet de Gascogne de type sanguin, ne demandant qu’à en découdre. Un homme comme je les aime.
Il était l’anti-pisse-froid, Mugny. Je me souviens, entre autres, d’un débat homérique entre Claude Frey et lui, le jour où les Américains attaquaient l’Irak. Et puis là, voilà qu’aujourd’hui, après huit ans de pouvoir où il a géré les affectations des dizaines de millions dévolus chaque année à la culture genevoise, Monsieur le Notable, comme dans la chanson de Brel, s’est embourgeoisé. Et voilà l’ancien rédacteur en chef du Courrier, journaliste naguère frontal, militant, revêche, bouillonnant, qui se met à regretter « l’irrévérence » de la presse d’aujourd’hui. Ah, les braves gens ! Ah, le singulier virage ! Ah, la somptueuse victoire de Monsieur Homais, l’apothicaire, qui soupèse ses fioles fragiles, sur la fougue militante d’antan !
Ils sont tous comme ça, les gens de pouvoir. Dans l’opposition, raides, fiers, conquérants. Une fois aux affaires, ils demandent des formes. N’aiment pas qu’on fouine, qu’on les dérange. Ils sont tous comme cela, de gauche comme de droite, de Brigue ou de Camargue. Je ne me rappelle plus comment s’appelle cette opération, qu’on dit douloureuse, par laquelle le coq se transforme en chapon. Vers une vie plus douillette. Au royaume, si doux, des ergots apaisés.
Pascal Décaillet