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« Votre appareil ne nous intéresse pas ! »



Ou : l’illusion participative, suite.


Édito Lausanne FM – 16.06.08 – 07.50h


Insupportable, l’obsession participative de certaines antennes publiques commence à prendre des proportions de baroque et de préciosité qui ne manqueront pas d’intéresser nos cabarettistes. A l’exception, bien sûr, de ceux que les mêmes antennes stipendient : l’insolence a ses limites, que l’estomac dessine.

Il y a toujours eu des lecteurs pour écrire aux journaux, des auditeurs ou spectateurs pour intervenir en radio ou en télé. Il y a même des émissions, du soir, magnifiquement faites, où la parole de l’autre, à qui on laisse de la place et du temps, est devenue un fleuron : Bernard Pichon, Laurent Voisin, Etienne Fernagut en Suisse, Macha Béranger sur France Inter, en ont été d’admirables artisans.

Ces émissions, toujours, demeureront. Il est bien clair qu’une radio ne peut donner à entendre que la seule voix de ses professionnels, doit faire parvenir au public le bruissement ou la fureur du monde, des milliers de voix anonymes. La première chose, pour y parvenir, au lieu de déifier l’auditeur-alibi, serait déjà de renoncer à la quiétude assise des studios et d’aller humer, flairer ce qui se passe dehors, là où bat la vraie vie. Le concept même de studio, avec ses murs de béton et ses portes capitonnées, cette ahurissante forteresse où il faudrait s’isoler de tout murmure de vie, appartient déjà au passé. C’est la radio du vingtième siècle, pas celle du vingt-et-unième.

Avec une valise-satellite et un technicien, un micro HF sans fil, un casque sans fil, vous pouvez donner la parole, vous-même en mouvement, à des dizaines de personnes, sur un lieu fort lié à l’actualité du jour, en une heure d’émission. Des gens que vous avez dans les yeux, avec un nom et un prénom, une authentique raison d’être à cet endroit et à ce moment, bref le contraire de cet anonymat participatif où on sait très bien que ne fleurissent que quelques permanents, toujours les mêmes, s’abritant sous des pseudonymes, trafiquant leurs adresses e-mail. Ces gens-là, au reste, ont parfaitement le droit d’exister, de donner leur avis tant qu’ils veulent : je dis simplement qu’il est excessif de les déifier.

Ce qui est devenu, décidément, insupportable, ça n’est pas l’intervention des auditeurs, c’est la récurrence des meneurs d’émission dans la quête de la manne participative. Plus une seule émission sans des incantations du style : « Votre avis nous intéresse, écrivez-nous, téléphonez-nous », ou, mieux encore : « Aidez-nous à construire l’émission ». Face à cette folie, où le journalisme se castre lui-même de son devoir de choix des sujets et des angles, j’aurais envie, un peu par dérision, de prendre une craie, comme le capitaine Haddock, et d’écrire, bien gros, sur un mur : « Votre appareil ne nous intéresse pas ! ». Le chapeau de l’auditeur, comme celui de Tournesol, en léviterait d’étonnement. Comme en défi aux pesanteurs et aux conformismes.





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