Édito Lausanne FM – Vendredi 07.12.07 – 07.50h
Nicolas Sarkozy réussira-t-il à sauver Ingrid Bentancourt ? On ne peut évidemment que le souhaiter, tant le calvaire de cette femme, cette demi-mort, là-bas, s’éternise. Madame Bentancourt n’est en rien en cause ici. Mais il faut dire quelques mots de la présidence-spectacle, lorsqu’elle est poussée jusqu’à l’extrême.
Dès le soir de son élection, le nouveau président mentionnait la nécessité de libérer l’otage franco-colombienne. Il y avait là un signe fort : la communauté nationale n’oublie pas les siens lorsqu’ils sont dans la douleur. Il y avait aussi, reconnaissons-le, du courage : si l’otage est libérée, tant mieux ; mais en cas d’échec, c’est Sarkozy lui-même qui risquerait d’en assumer les conséquences.
Qu’il faille tout faire pour libérer cette femme, tout le monde en convient, et le visage, d’une paisible et troublante beauté, de sa fille, sur les écrans TV, remue les cœurs. Mais franchement, est-ce au Président de la République française, premier personnage de l’Etat, héritier et successeur de Charles de Gaulle et François Mitterrand, de monter à ce point aux créneaux, avec tant d’insistance, de visibilité personnelle, et jusqu’à l’ostentation, sur le sujet ? Ne pourrait-il pas produire exactement les mêmes efforts pour tenter de faire libérer l’otage, en le disant – et en se montrant soi-même – un peu moins ?
Ce président qui se métamorphose, de plus en plus, en commis-voyageur des bonnes causes et des libérations d’otages, est-ce là le rôle du chef de l’Etat ? On pourrait imaginer que ces ambassades humanitaires soient déléguées un ou deux échelons plus bas, non ? Matignon, Quai d’Orsay, voire un personnage de forte autorité morale ; il y en a encore quelques-uns, me semble-t-il.
Mais non. Le président veut tout faire lui-même. Sur la scène, il veut être absolument seul. Non seulement comme scénariste, metteur en scène, éclairagiste, décorateur, ouvreuse, mais aussi comme acteur unique. Son pamphlet contre le régime gaullien, en 1964, François Mitterrand l’avait intitulé « Le Coup d’Etat permanent » ; avec Nicolas Sarkozy, les Français sont entrés dans l’air du one-man-show permanent. Le Roi est partout. On ne voit, on n’entend que lui. Le Roi est sur la scène, le Roi danse, le Roi se contemple dans la Galerie des glaces, et les courtisans, toutes échines courbées, jouissent de cette régalienne chorégraphie, par mille miroirs multipliée.
Pour l’heure, ils semblent aimer cela, les Français, ils ne semblent pas trop dérangés par la majesté solitaire de ce huis clos. Mais attention : là où il y a Huis clos, en contiguïté de rayonnage, il pourrait, dans les bonnes familles, y avoir aussi la Nausée. La chute, de l’un à l’autre, pourrait, le jour venu, avoir la rapidité d’une comète. Étincelante, et pourtant déjà morte.