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Sur le vif - Jeudi 17.12.20 - 16.47hPeu après René Felber, voilà que disparaît Flavio Cotti. Avec ces hommes, c'est le Conseil fédéral de mes années à Berne, il y a trente ans, qui doucement s'en va. Il reste, Dieu merci, Adolf Ogi. Et un ou deux autres. Le plus éblouissant, celui dont j'ai été le plus proche à tous égards, Jean-Pascal Delamuraz, nous quittait, beaucoup trop jeune, en octobre 1998.A Flavio Cotti, d'innombrables souvenirs me lient, plusieurs voyages aussi. C'était un homme d'un grande intelligence, parfait polyglotte (il parlait français sans le moindre accent), cultivé, compétent. Ce qui lui a manqué, c'est le charisme d'un Delamuraz, ou d'un Ogi. Flavio Cotti, qui a mené d'une main de fer la valse des diplomates, était un cérébral, très attaché au pays, mais montrant peu ses sentiments. Il fut parfois un mal aimé.Un souvenir personnel, tout simple, sur cet homme. J'étais à l'époque correspondant à Berne pour la RSR. Je me levais vers 04.45h pour aller à la gare, en alternance avec mes collègues, chercher le paquet ficelé de journaux qui nous permettrait, en direct à 07.20h, de présenter la revue de presse alémanique, avant d'attaquer, au troisième étage, juste sous la Coupole fédérale, une longue journée de journaliste politique. Je faisais, à 05.30h précises, tous les matins mon entrée triomphale dans un Palais fédéral totalement vide.Totalement ? Pas tout à fait ! Un homme, avant même Jean-Pascal Delamuraz, entrait au Palais exactement en même temps que moi. "Bonjour Monsieur, comment allez-vous ?". Toujours parfaitement courtois. Il voulait être le premier à occuper son poste, dans le silence matinal de la Berne fédérale. Cet homme, intelligent et immensément travailleur, s'appelait Flavio Cotti. Il a été un grand serviteur de la Suisse. Nous lui rendrons hommage, avec Philippe Roch, ancien directeur de l'Office fédéral de l'Environnement, ce dimanche 20 décembre, 19h, en ouverture du GRAND GAC.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif
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Politique : où est passée la confiance ?
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.12.20
Au cœur de notre pays, la Suisse, il y a la confiance. Sans elle, rien de ce que nous avons construit, nous et nos ancêtres, n’existerait. La confiance entre nous tous, citoyennes et citoyens, hommes et femmes libres, adultes, responsables. La confiance envers nos autorités, celles que nous avons élues pour qu’elles accomplissent une mission. La confiance entre régions du pays, au-delà de nos différences, bien réelles. La confiance entre les habitants, Suisses, étrangers, nomades, sédentaires. La confiance entre les gens des villes et ceux de la montagne, les Suisses de la plaine et ceux de la montagne. La confiance entre les religions. La confiance entre ceux qui se réclament d’une adhésion spirituelle, et ceux qui ne s’en réclament pas. La confiance entre conservateurs et progressistes : visions différentes, mais surgies d’une même souche. Racines communes, branches éparses.
Devant notre chalet valaisan, dans mon enfance, je me souviens de ces années soixante, où jamais mon père, me semble-t-il, ne fermait sa voiture à clef. Et même la clef du chalet, nous la laissions, comme des grands, quand nous sortions, sur la première poutre que n’importe cambrioleur amateur aurait immédiatement choisie pour aller la dénicher. Nostalgie, je crois, de ces années d’insouciance.
Aujourd’hui, la confiance est à rude épreuve. La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses. Le discours de l’autorité est mis en cause, ce qui est d’ailleurs parfaitement légitime de la part d’un peuple qui n’aime pas s’en laisser conter. La parole d’en haut a perdu de son crédit. Trop d’apparitions des dirigeants, trop de mots, « trop de notes », comme le hasardait l’Empereur au jeune Mozart, dans le film de Forman. Et puis, de perpétuels changements de position, un jour on ouvre, un jour on ferme, un jour on confine, un jour on libère. La parole de Berne, celle de Genève, la voix des Cantons, celle des Romands, celle des Alémaniques, celle de Macron, celle de Merkel. On gouverne par la valeur d’une seule parole, pas par la polyphonie.
Ma position sur la démocratie représentative, vous la connaissez. Nous sommes, je crois, à la fin d’un processus, entamé au début du dix-neuvième siècle, au temps des diligences, où le peuple délègue ses pouvoirs à des émissaires, qui s’en vont siéger, pour des « Diètes » de plusieurs semaines, dans des Parlements nationaux. A Berne, à Paris, à Berlin. Je suis, vous le savez, partisan d’une démocratie totale, en tout cas une démocratie directe plus accomplie encore que celle d’aujourd’hui, où le suffrage universel participerait davantage aux grandes décisions. Parce que ma confiance dans le système électif n’est pas illimitée. Et c’est bien cela que nous devons sauvegarder, si nous voulons que la Suisse vive : la confiance ! Je suis le premier, je l’avoue, à ne l’accorder qu’avec parcimonie, chacun fait ce qu’il peut. Mais conservons, entre nous, ce trésor : il nous unit, là où le verbiage nous disperse. Excellente semaine à tous !
Pascal Décaillet
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Ludwig, héros porteur du feu
Sur le vif - Mardi 15.12.20 - 16.27hJe reviens à ma réflexion d'hier soir sur le Beethoven biographique. Je dis qu'il y a une vraie vie, et que c'est celle de la musique. Mais je comprends fort bien que le parcours biographique, les 57 ans de cette vie d'homme, entre 1770 et 1827, fascinent. J'ai moi-même, dès l'âge de douze ans, ayant commencé fort tôt à écouter les Symphonies (bien avant les Sonates, les Quatuors), donné dans cette fascination totale pour le destin de cet homme, toujours en mouvement.Les 57 ans de vie de Ludwig van Beethoven correspondent, avec une saisissante magie, à cette exceptionnelle période de l'Histoire allemande (dans laquelle on nous permettra d'inclure Vienne pour la musique), qui m'habite avec la plus démoniaque des présences. Fin de l'Ancien Régime, Révolution française, Consulat, Empire, début de la Restauration. Et influence considérable des idées révolutionnaires sur le jeune Beethoven. Il a lu Plutarque et Rousseau, il épouse les idées nouvelles, il ne sera déçu par Bonaparte qu'en 1804, lorsque le Premier Consul déposera sur sa propre tête la couronne impériale.Beethoven est, absolument, un homme de son temps. Il avance. Il devance. Il affronte le destin. Il s'émancipe des mécènes. Il fait constamment évoluer la forme musicale, aucune oeuvre ne ressemblant à la précédente. Il façonne. Il invente. Il transgresse les matrices du prévisible. Il cherche. Il trouve. Il ne se repose jamais.Il est l'homme de la Révolution. Non celle de la politique, qu'il admirait dans sa jeunesse. Mais celle de la constante remise en cause d'une forme musicale, dès que celle-ci deviendrait convention. Le chemin, entre ses premières compositions, très jeune, et les derniers Quatuors, est époustouflant. Des années-lumière. Un autre monde.Et c'est bien pourquoi j'invite, une fois consommée notre fascination pour le Beethoven biographique, à laisser un peu les 57 années de cette vie terrestre pour nous immerger dans l'étude musicologique de cette évolution, à nulle autre pareille. A la découverte de la vraie vie de cet homme - celle de tout compositeur - les chemins de création, entre la musique d'Ancien Régime (qu'il ne s'agit pas une seule seconde de dénigrer), et l'évolution vers "autre chose", qu'on appellera le Romantisme, la personnalisation, l'irruption du "je" dans la création musicale, tout cela est parfaitement connu, recensé par les musicologues. Quand j'écoute les derniers Quatuors, années 1820, composés par un homme sourd et isolé du monde, je me demande parfois si je ne suis pas en train d'entendre du Bartók, ou du Alban Berg, ou du Sibelius. Des auteurs du vingtième siècle !J'invite donc, tout en nous plongeant dans le Beethoven biographique, pour être en phase avec l'une des périodes les plus fastes dans l'Histoire des arts, des textes et des idées dans l'univers germanique, à une seconde immersion, vitale cella-là, et sans doute aussi baptismale, dans les chemins de création musicale de cet homme d'exception.Baptismale, oui. Promesse d'une autre vie. Au-delà du parcours entre une naissance et une mort. La vie de la musique elle-même. Portée par un personnage prométhéen, digne de Kleist. Ou de Friedrich Hölderlin. L'un et l'autre, contemporains de Beethoven. Époque de feu. Le temps des mythes et des récits. Le temps des héros.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif