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  • Boris, Donald, et les Pharisiens de la presse romande

     

    Sur le vif - Samedi 14.12.19 - 17.14h

     

    Depuis des années, la presse romande, unanime et moutonnière, n'a cessé de vilipender Boris Johnson. Depuis des années, elle le prend de haut, le tourne en ridicule, l'attaque sur son physique, comme une chroniqueuse du Temps avait cru bon de le faire à propos de Donald Trump, la veille de son élection, début novembre 2016.

    Depuis des années, il faut dire du mal de Johnson, si on veut être dans le coup. Depuis des années, il faut démolir Trump, ignorer ses succès, multiplier les papiers à charge, directement répétés de la doxa démocrate, dans la comédie de l'Impeachment.

    Depuis des années, dire du mal de Johnson, parce qu'il faut dire du mal du Brexit. Depuis des années, la presse romande fait de la présence - ou non - du Royaume-Uni dans l'Union européenne, une question morale. S'il y demeure, c'est bien. S'il s'en retire, c'est mal.

    L'idée que puissent exister d'autres grilles de lecture, liées aux rapports de forces séculaires entre France, Angleterre et Allemagne, et aux variations internes à cette triangulation (cf. mon dernier blog, ici même), ne semble pas effleurer nos puissants éditorialistes. Non, on se cantonne au Bien, et au Mal.

    Boris Johnson, Donald Trump. On les attaque sur leur chevelure, autant dire le degré zéro de l'analyse politique. On les attaque sur leur style. On les attaque sur leur rapport au verbe, au langage. On les traite de populistes. On ne les attaque pas sur leurs idées, ou alors avec une infinie faiblesse argumentative, mais sur ce qu'ils sont.

    Donald Trump, Boris Johnson. Deux hommes, d'âge mûr. Deux hommes, de droite. Deux hommes, plutôt conservateurs. Deux hommes, favorables à l'idée de nation, de frontière, de protection indigène.

    Bref, tout pour déplaire. A qui ? Oh, certainement pas à leurs propres citoyens, à cet égard nous attendons avec impatience novembre 2020, aux États-Unis. Non, ces deux hommes déplaisent à la petite clique, systématiquement pro-européenne (donc anti-Brexit par posture idéologique et morale), et systématiquement pro-démocrates américains, donc anti-républicains.

    Cela n'a pas changé depuis 1974. J'avais seize ans, je suivais la politique avec passion. Dans la tourmente du Watergate, il fallait déjà, dans notre bonne vieille presse romande, embrasser les thèses démocrates, répéter fidèlement les griefs des journaux de la Côte-Est. Noircir à tout prix Nixon, diaboliser l'infâme. 45 ans plus tard, rien n'a changé.

    Vous, je ne sais pas. Mais moi, cette clique d'éditorialistes, en Suisse romande, je ne peux tout simplement plus les supporter. Et dire que certains d'entre eux ont le culot de militer pour une aide à la presse.

    Il serait peut-être temps de leur répondre comme il convient, non ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'Angleterre, en Europe : hors-sujet !

     


    *** Une réflexion historique et diachronique sur l'Angleterre face au continent - Vendredi 13.12.19 - 16.38h

     

    C'est une longue Histoire que celle de l'Angleterre face au continent, il faut la prendre sur au moins mille ans, disons depuis Hastings (1066), pour en saisir les enjeux. D'immenses historiens s'y sont attelés, ils ont noté quelques constantes. L'une d'entre elles, majeure, est qu'entre la Grande Bretagne, la France et l'univers germanique de la Mitteleuropa, aujourd'hui dominé par l'Allemagne, il y en eut toujours deux contre le troisième.

    Cela se vérifie, par exemple, lors de la complexe et passionnante Guerre de Sept Ans (1756-1763), où émerge la Prusse de l'immense Frédéric II, lequel entame l'inexorable montée de l'univers germanique du Nord au détriment de celui du Sud (Saint-Empire, aboli en 1806 par Napoléon).

    Cela se vérifie en 1815, à Waterloo : Prussiens et Anglais, Wellington et Blücher, unis contre la France. Dès que l'embouchure de l'Escaut est dominée par une grande puissance (1815, 1914, 1940), l'Angleterre se réveille.

    Cela se vérifie en 1914 : l'Entente Cordiale, entre la France et le Royaume-Uni, fonctionne pendant toute la guerre, contre l'Allemand.

    Cela donne l'impression de se vérifier le 2 septembre 1939, lorsque la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne, à cause de l'affaire polonaise. Mais l'alliance franco-britannique ne tiendra pas : dès Dunkerque (juin 40), elle est de facto terminée. Le bombardement de la Flotte française à Mers el-Kébir (juillet 1940), vieille vengeance de Churchill, sera l'éclatante démonstration de cette rupture.

    Toute l'affaire de la présence du Royaume-Uni dans la Communauté européenne (aujourd'hui UE), à partir de 1972, et sans doute jusqu'à début 2020, est à considérer en fonction de ce jeu d'alliances à trois.

    Qu'est-ce, dès les années d'après-guerre, et déjà bien avant le Traité de Rome (1957), que la construction européenne ? Réponse : c'est, principalement, la collaboration économique (charbon, acier, au début), puis la très belle réconciliation (de Gaulle-Adenauer, 1963) entre la France et l'Allemagne. A laquelle vient s'ajouter l'Italie. Puis, les trois pays du Bénélux. La construction européenne, c'est une affaire profondément continentale. Pardonnez-moi si c'est un peu brutal à dire, mais le Royaume-Uni, dans cette histoire, est hors-sujet.

    Il n'était absolument pas prévu, au départ, que cette puissance certes européenne, mais extra-continentale, avec déjà un pied dans le "Grand Large" (Churchill), vînt un jour s'arrimer à l'attelage. Ce fut le cas en 1972, de Gaulle était mort depuis deux ans, Pompidou avait (à tort !) considéré les choses autrement. Il est vrai que le successeur du Général n'entretenait absolument pas les mêmes liens politiques, culturels, littéraires que lui avec l'univers germanique. Charles de Gaulle était, au fond de lui, un germanophile puissant, ayant dû deux fois faire la guerre à un monde qui le fascinait. Tout autant, il détestait la galaxie anglo-saxonne.

    1972 - 2020 : la présence de Royaume-Uni dans l'Union européenne aura duré 48 ans. Un demi-siècle, face à mille ans d’Histoire depuis Hastings, c'est peu. Cette grande nation a eu la sagesse de garder sa monnaie. Elle aura sa politique étrangère propre, avec les États-Unis et avec le monde. Assurément, elle survivra à son passage au sein d'une organisation continentale. Elle vivra son destin, le continent européen aussi.

    La grande question, en Europe, n'est pas celle de l'Angleterre. A cet égard, il faut se méfier de plusieurs générations de journalistes, de politologues, d'observateurs, nourris d'études internationales en anglais, qui surestiment totalement, depuis un demi-siècle, l'importance du Royaume-Uni dans la question européenne. Pire : ils entrevoient ce lien sous des aspects moraux (l'Angleterre dans l'Union, ce serait le Bien ; hors de l'Union, ce serai le Mal). Les mêmes, avec une cécité frappante, refusent de voir l'essentiel : la montée inexorable, en Europe, de la puissance allemande, vrai facteur de déséquilibre des rêves des Pères fondateurs du Traité de Rome (1957).

    Eh oui, l'Angleterre est hors-sujet. Elle va continuer de vivre sa vie. Mais sur le continent, le modèle d'une construction équilibrée a vécu. La France, face à l'Allemagne, ne fait plus le poids. L'univers germanique conquiert les marchés des pays d'Europe centrale et orientale, jusqu'en Ukraine. Et cette fois, il n'a pas besoin du moindre char de combat. Le vieux rêve de Frédéric II, établir une puissance germanique dans le Centre-Nord-Est du continent européen, entamé entre 1740 et 1786, n'aura finalement été stoppé que par des défaites d'étape.

    Car même le 8 mai 1945 n'est, dans ce processus continu d'extension du champ d'influence, qu'une défaite d'étape.

    Dans cette équation majeure, que vient faire l'Angleterre ? A bien des égards, oui, elle est hors-sujet.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     
     
  • Fragments d'un transport amoureux

     

    Sur le vif - Jeudi 12.12.19 - 15.25h

     

    En ce jour d'inauguration du CEVA (je m'accroche à l'ancien terme, celui de nos vieux débats, celui de nos impôts), il serait assurément malvenu de gâcher la fête. Genève sourit, la Haute-Savoie est radieuse, plus besoin d'échelles ni d'équipées nocturnes, le train-miracle fera l'affaire.

    A Genève, il fait beau, en ce milieu d'après-midi du 12 décembre 2019 ; en écrivant ces lignes, je contemple un Salève radieux, avec des haillons de lumière sur ses rochers, le Sainte Montagne des escalades dominicales de mon enfance, avec mon père.

    Aux rites inauguraux, la liturgie est celle de la joie. Je ne suis pas, comme on sait, un partisan du CEVA, mais le fils d'ingénieur et d'entrepreneur ne peut se départir d'une pensée, ni d'une immense admiration, pour tous ceux qui ont travaillé sur ce chantier. Mon père construisait des tunnels : combien de fois l'ai-je accompagné, le samedi, dans les entrailles de la terre, et celles des montagnes !

    M. Dal Busco, M. Wauquiez, M. L'Ambassadeur de France, Mme Sommaruga, ont bien parlé. Ils ont trouvé les mots pour dire la qualité d'un lien. La conseillère fédérale, quelque part entre la langue de Racine et celles de Roland Barthes (le second ayant d'ailleurs écrit des lignes inoubliables sur le premier), a parlé d'un "transport amoureux". J'ai aimé ces deux mots, ils étaient élégants, choisis, d'une élévation légère, pleine d'entrain.

    Le "transport amoureux" convient à une journée ensoleillée d'arrière-automne, où la sève de l'Avent mûrit nos patiences. La réalité du train-miracle sera-t-elle au niveau de cette heureuse trouvaille lexicale ? La permanence historique de la frontière, l'incroyable différence de nos deux pays dans leurs relations aux questions sociales, l'absolue nécessité de protéger l'emploi indigène à Genève, tant d'aggravations possibles du réel, tant de risques de rendre caducs ces deux mots de désir et d'envol : "transport amoureux".

    Je n'attendais pas ces mots-là de cette conseillère fédérale. Elle les a prononcés, et c'est tant mieux. Je la savais pianiste de talent. Voilà que je découvre un rapport au langage, à l'imprévisible mystère des mots, qui m'amène à réviser à la hausse mon jugement sur sa personne. C'était sans doute le but, face à tout auditeur, la diablesse est donc plus forte que je ne le supputais.

    Ce que nous réserve l'avenir, je l'ignore. Mais c'était une belle journée, et ce furent de belles paroles. De ce transport amoureux de Mme Sommaruga, conservons en nos mémoires quelques fragments. Ils pourraient nous aider, ici et là, à entrevoir la vie avec un peu plus d'insouciance et de légèreté.

     

    Pascal Décaillet