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  • Harnoncourt, l'âme du monde

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    Sur le vif - Dimanche 06.03.16 - 16.53h

     

    Si la musique est l’âme du monde, alors il est possible que le monde ait perdu, hier à Vienne, une partie de son âme. Johann Nikolaus Graf von Lafontaine und Harnoncourt-Unverzagt, tout juste trois mois après avoir annoncé, dans un message poignant, son retrait pour raisons de santé, « a rendu paisiblement son dernier souffle dans le cercle familial ». Né à Berlin le 6 décembre 1929, mort à Vienne le 5 mars 2016. Fondateur, en 1953, du Concentus Musicus de Vienne. L’homme qui a ressuscité le baroque dans la seconde moitié du vingtième siècle. Comme le jeune Mendelssohn, qui rendait vie à Bach, autour de 1829. Harnoncourt, un monument ? Non ! Bien plus que cela ! Un passeur de l’âme du monde. Avec elle envolé, hier à Vienne.

     

    Un passeur de l’âme du monde. Violoncelliste, gambiste, incomparable chef, à l’écoute des musiciens, il avait créé à Vienne, avec ses auditeurs, une intensité de communion qui restera exemplaire. Le 5 décembre dernier, il faisait glisser dans le programme du Concentus ces quelques phrases qui resteront dans l’Histoire : « Mes capacités physiques exigent l’annulation de mes projets…. Une relation incroyablement profonde s’est nouée entre nous sur la scène, et vous dans la salle. Nous sommes devenus une joyeuse communauté de pionniers ». L’âme du monde, celle qui relie, crée du sens.

     

    Cet homme qui a restitué, dès les années 60, les instruments d’époque sur la musique ancienne et les formations baroques, cet homme dont les écrits montrent une encyclopédique érudition sur l’Histoire de la musique, était le contraire même d’un brasseur de nostalgie. La poussière des ans, il la métamorphosait en fragments d’âme. Réinventant le tempo, dans ce qu’il considérait comme la fidélité à la partition d’origine, il nous restituait la lumière d’un siècle, le 18ème, qui, tiens justement, porte ce nom. Ce descendant direct de François 1er, Empereur du Saint-Empire, tellement puissant dans la relation avec les musiciens, était lui-même chaleur et lumière, invention, défrichage, révolution.

     

    Parce qu’il était cosmique. Et qu’interprétant Bach ou Haendel, Monteverdi ou Purcell, Mozart ou Beethoven, et jusqu’à un étonnant Deutsches Requiem de Brahms, il n’y avait plus ni Lumières, ni ombre du passé, ni Jour de Colère, ni Nuit d’Oubli. Ni baroque, ni classicisme, ni romantisme, ni modernisme. Il n’y avait plus que l’essence de la musique, le sens et la précision d’une partition, le contact (exceptionnel) avec ses musiciens. Avec Harnoncourt, pourtant incroyable connaisseur de l’Histoire musicale, ce sont paradoxalement les barrières de la chronologie, des nomenclatures, qui s’effondrent. C’est cela, son travail sur la musique ancienne, sur le baroque. D’autres l’ont fait aussi, bien sûr. Mais sa part, à lui, est inaliénable.

     

    Un demi-millier d’enregistrements. Parmi lesquels il faut évidemment compter l’intégrale des Cantates de Bach, avec Gustav Leonhardt, entre 1971 et 1990. Pour le reste, de L’Ode à Sainte-Cécile de Haendel à des œuvres beaucoup plus récentes, d’un autre ordre et d’une autre classification musicales, comme la Chauve-Souris de Strauss, un legs impressionnant, fruit d’un travail acharné, d’une vie intégralement consacrée à la musique.

     

    Passeur de l’âme du monde. Par l’intimité de sa connaissance des partitions. Sa passion à communiquer. Son lien sacré avec l’orchestre. Sa joie à diriger. Ses réflexions géniales sur la musique. « L’unité de la musique et de la vie est perdue », avait-il dit. Il a passé sa vie à nous prouver le contraire. Une partie de l’âme du monde s’envole. Blessée. Quant à Nikolaus Harnoncourt, il est là. Au milieu du monde. Il est vivant.

     

    Pascal Décaillet

     

  • MAH : la paix des braves s'impose !

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 02.03.16

     

    Depuis des semaines, le non était prévisible. A vrai dire, dès le soir de notre débat, sur Léman Bleu, le jeudi 4 février, dans la Salle des Armures du Musée. Quand on anime un débat, on est soi-même au centre des énergies, dans le feu croisé des antagonismes. Instinctivement, physiquement même, on peut dire qui a gagné. Et là, c’était clair, Robert Cramer avait marqué des points, Sami Kanaan avait été mis en sérieuse difficulté, notamment lorsqu'il s’était trouvé dans l’impossibilité de donner des chiffres. Ce débat avait été certes dur, mais correct et respectueux, contrastant ainsi avec la tonalité générale de la campagne, faite de dérapages et d’attaques personnelles.

     

    Le non était prévisible, et il a fini par gagner. A plus de 54%. Au soir du verdict, les perdants, Charlotte de Senarclens pour les Amis du Musée, Sami Kanaan pour la Ville, ont accepté la défaite avec classe. On sentait bien sûr leur immense déception, mais aussi, je crois, le soulagement de tourner la page après le fracas d’un combat particulièrement difficile. Du côté des vainqueurs, Robert Cramer a eu l’intelligence d’éviter le triomphalisme, il a même tendu une main pour renouer le dialogue. Il y avait eu tant d’excès, dans cette campagne, de part et d’autre, tant de clans, de factions, de spadassins, de flèches au curare, que ce moment du dimanche soir, 28 février, faisait du bien. Nous tous, que nous fussions partisans ou adversaires du projet de rénovation, nous avions besoin de cela. D’un peu de politesse, de courtoisie. D’appel à la construction. C’était important.

     

    D’autres écriront, plus tard, l’Histoire de cette campagne folle. C’est un sujet en or pour des mémoires ou des thèses des temps futurs, pour des historiens, des linguistes, des sémiologues, ceux qui décryptent les signes. Il y aura beaucoup à dire sur le langage des affiches, le dit et le non-dit, l’explicite et le sous-entendu, le clair et l’allusif. Une chose est sûre : c’était une campagne puissante. Parce que les Genevois aiment ce Musée. Ils aiment leur patrimoine. Il y a, dans cette résurrection montrée de notre passé, comme les vertus d’une sainte relique auprès des gens simples, la foi du charbonnier. C’est notre Musée, notre passé. Et peut-être ce trésor-là n’a-t-il pas de prix. Nul mécène, même bien intentionné, ne pourrait y fourrer son nez. Comprenant cela, les opposants ont saisi quelque chose d’incroyablement identitaire, alors qu’en face, on n’affichait qu’une « convention ». En termes d’imaginaire, la bataille était inégale.

     

    Bref, c’est tranché. On priera chacun de bien vouloir ranger ses armes, à commencer par les spadassins, les personnes interposées, les commis de basses œuvres des deux camps. Laissons les Fossés de Caylus, tendons-nous vraiment la main. Il faudra tout recommencer, c’est vrai. Il faudra construire une confiance. J’affirme ici que Sami Kanaan peut et doit être l’homme autour duquel cette nouvelle ère s’articulera. Parce qu’il est un homme honnête et loyal. Ces qualités-là, au milieu de la tourmente, sont précieuses.

     

    Pascal Décaillet