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  • Gaza : la disproportion

    Samedi 27.12.08 - 19.25h

    A chaque flambée de violence au Proche-Orient, me remontent en mémoire les souvenirs de mes reportages dans cette partie du monde, fondatrice de tant de nos valeurs, et dont on aimerait tellement qu’elle puisse un jour connaître la paix. Visages, regards, sourires, chaleur de présences humaines, bien entendu de tous horizons, arabes comme israéliens. La Suisse est une amie d’Israël, mais elle l’est tout autant du peuple palestinien, de sa légitime aspiration à un Etat. Le peuple palestinien, oui, celui de Cisjordanie, de Ramallah, comme celui de Gaza. À chacun de ses commentaires officiels sur les drames de cette région, Berne doit évidemment soupeser la moindre de ses syllabes, ce qui n’a, ces dernières années, pas toujours été fait de façon équitable. On pensera à certains propos de Micheline Calmy-Rey sur le Hezbollah, qui avaient légitimement fâché les Israéliens, et de nombreux Juifs de Suisse.

    Dans l’affaire de ce qui vient de se passer à Gaza, cette riposte à 200 morts, la petite Suisse, certes bien impuissante, doit faire entendre une voix. Elle ne changera évidemment pas la face du monde, mais les liens de notre pays avec les différents antagonistes sont trop importants pour que l’officialité bernoise se contente de faire le dos rond. Et cette voix, sans remettre en question la qualité de nos relations avec Israël, comment pourra-t-elle faire l’économie d’un constat de disproportion ?

    Oh, certes, nul de sensé ne contestera à Israël le droit de se défendre, qui serions-nous pour le faire ? Nul, non plus, ne peut fermer les yeux sur la récente reprise des tirs de roquettes sur le sud d’Israël, par le Hamas. Ce pays, depuis sa création en 1948, n’a au fond jamais connu la sécurité, il a dû se battre pour survivre, il est indispensable, de notre Suisse, de le comprendre. Certes, encore, il était notoire que les bases logistiques de ces attaques se situaient dans la bande de Gaza, zone très dense et très peuplée, soumise au blocus qu’on sait. La riposte israélienne était prévisible. Une certaine constellation, autant de politique intérieure israélienne (élections législatives le 10 février prochain) que de fin de règne à Washington, nous amenait en effet à la possibilité d’une opération d’envergure ces jours-ci.

    Opération, oui. Carnage, non. Tous les reportages sur place, à Gaza, diffusés aujourd’hui par les radios et les télévisions, font état de nombreuses victimes civiles, femmes, enfants, emportés par le feu d’une attaque prétendument circonscrite aux cibles opérationnelles. Gaza, c’est un tissu urbain, très serré, où tout s’entremêle. Israël, qui dispose de moyens de reconnaissance au centimètre carré, le sait parfaitement. Elle savait, dès le départ, que les dégâts collatéraux pouvaient être terribles.

    Dans les actuels décideurs d’Israël, tous sont candidats le 10 février prochain : autant la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni (Kadima), que celui de la Défense, le travailliste Ehud Barak. Et, bien sûr, le favori des sondages, Benjamin Netanyahu (Likoud). L’opération de représailles sur Gaza doit aussi être lue, comme toujours en Israël, dans une grille de politique intérieure, de signaux à l’opinion publique. Mais au-delà des frontières d’Israël, au-delà même du Proche-Orient, il y a le vaste monde. Avec, quelque part, un petit pays qui s’appelle la Suisse. Constater la disproportion, comme vient de le faire Nicolas Sarkozy, apparaît comme une nécessité. À quoi doit s’ajouter l’effort humanitaire pour les hôpitaux de Gaza. Être un petit pays n’empêche en rien d’avoir une voix. Oui, juste une voix. Parmi tant d’autres. Mais une voix, tout de même.

    Pascal Décaillet









  • 2008 : une année pour rien ?

     

     

    L’année politique 2008 a-t-elle été, en Suisse, une année pour rien ? Une année perdue, comme il existe, en horlogerie, un « chemin perdu », une sorte de temps mort dans les mécanismes de la montre ? Le coup du 12 décembre 2007, à moitié rattrapé par celui du 10 décembre 2008, n’a-t-il pas fait perdre un an à la Suisse ? La question, sérieusement, se pose. Un pays a-t-il intérêt, en termes d’efficacité, à bouter hors de son gouvernement le parti arrivé nettement en tête aux élections ?

     

    Vous me direz que rien n’obligeait l’UDC, au lendemain de l’éjection de Christoph Blocher, à s’autoproclamer « parti d’opposition ». Certes. Mais cette démarche, au fond, n’est que l’accomplissement, jusqu’au bout de la logique, de ce à quoi les socialistes avaient bien failli se résoudre (ils avaient finalement préféré les souveraines délices du pouvoir) au lendemain de la non-élection de Lilian Uchtenhagen, en décembre 1983. Le Parlement, pour le choix des conseillers fédéraux, est certes souverain, mais cette souveraineté est inséparable d’une responsabilité : quand on humilie un parti entier, a fortiori le vainqueur des élections, il faut bien s’attendre à quelques conséquences. L’Assemblée fédérale a pris ce risque en 1983 (Uchtenhagen) et en 2007 (Blocher). Elle aurait dû aussi le prendre en mars 1993, en insistant pour que Francis Matthey accepte son élection, plutôt que de céder au chantage de son propre parti.

     

    2008 : année pour rien ? Oui, si on regarde le triste destin de Samuel Schmid, cette lente, implacable exécution, jusqu’à l’ultime soupir, de celui que son parti avait désigné comme traître. A coup sûr, la politique suisse de sécurité n’est pas sortie gagnante de ce jeu de mise à mort, qui a même vu, à certains moments, l’UDC alliée à la gauche pour le seul plaisir de désavouer son ancien ministre. A ce petit jeu de vengeance et de règlements de comptes, on a pensé à tout, sauf à l’intérêt supérieur du pays : quel système de sécurité, par rapport à quels dangers ? Là, tout est à recommencer, à réinventer : Ueli Maurer se trouve face à un vide, idéologique et sémantique, assez vertigineux. Au point qu’à sa place, et juste avant son entrée en fonction, Pascal Couchepin vient jeter dans l'espace public, de façon bien inélégante, quelques fantasmes de mer Rouge. A quand, la séparation des eaux ?

     

    2008 : année pour rien ? Oui aussi, ou presque, si on en juge par la lenteur crasse de notre système politique à se réformer lui-même. On nous dit que la logique arithmétique doit céder la place à une logique de concordance, en quoi, sur le fond, on a parfaitement raison. Mais on vient nous proclamer cela, doctement, en cours de législature. Autrement dit, on vient changer les règles pendant le jeu, et cela, ça n’est absolument pas acceptable. Trop facile d’invoquer une nouvelle logique dans le simple but (qui ne trompe que les naïfs) d’empêcher le parti vainqueur de participer au gouvernement. Alors, on se drape de morale, on se prend pour des procureurs (n’est-ce pas, Monsieur Marty ?), on brandit des leçons d’éthique, mais en réalité on invente une concordance en cours de jeu, pour sauver une certaine nomenklatura de partis au pouvoir, contre d’autres. Certes, au finish, et à une voix près, la manœuvre n’a, cette fois, pas porté, mais son ampleur laissera des traces.

     

    Oui, une nomenklatura. Comme une autre. L’alliance, tricotée dans l'imaginaire, sous paravent de morale, en fait pour les besoins de la manoeuvre, entre une partie du centre-droit et les socialistes, contre l’UDC, est une formule de pure convenance pour se maintenir, entre soi, au pouvoir. Mais à ce jeu, on manie des allumettes. Car les affinités du monde politique, aussi électives qu’elles l’étaient chez Goethe, se trouvent être éminemment réversibles : pourquoi pas, un jour, une alliance entre l’UDC, les libéraux-radicaux, et le PDC, à eux trois largement majoritaires dans la sociologie électorale du pays. Et qui aurait pour conséquence de renvoyer les socialistes à leurs chères études. Amusant, comme idée, non ? Pour la seule jouissance intellectuelle d’imaginer, ne serait-ce qu’une seconde, ce scénario, 2008, au fond, n’aura pas totalement été une année pour rien !

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un grand Allemand fête ses 90 ans

     

     

    Existe-t-il encore beaucoup de grands hommes en Europe ? Oui, il y a Helmut Schmidt. L’ancien chancelier social-démocrate (1974-1982) fêtera mardi ses 90 ans. Son destin est celui de l’Allemagne du vingtième siècle, avec comme point central la défaite de 1945, cette année zéro d’où il aura fallu tout reconstruire, sur les décombres du Troisième Reich. Officier de DCA dans la Wehrmacht, le jeune Schmidt sert, de longues années, sur tous les fronts, celui de l’Est et celui de l’Ouest, voit des milliers de ses camarades tomber, connaît la captivité en 1945, retrouve enfin sa ville de Hambourg. Ou plutôt ce qu’il en reste. Il relance sa vie à partir de cette embouchure de l’Elbe qui l’avait vu naître en 1918, juste au lendemain de la Grande Guerre, à vrai dire en pleine période de lutte au couteau entre les corps francs et les Spartakistes (lire « Novembre 1918 », de Döblin).

     

    Je suis allé souvent à Hambourg, mais le plus inoubliable de mes passages demeure ce jour d’avril 1999 où Helmut Schmidt, déjà octogénaire et alors éditeur de « Die Zeit », me reçoit deux heures, dans son bureau dominant le port, avec mon confrère Pierre-André Stauffer. Deux heures d’une intensité incroyable, où l’homme se raconte, dessine le destin allemand, Frédéric II et Bismarck, n’en peut plus de fumer, et, entre deux cigarettes, prise et sniffe, en vieux loup de la mer du Nord, tout ce qui sort de ses poches et peut ressembler à du tabac. Festival de toxicomanie, n’ayant d’égal que la fulgurance de son esprit. Rapide, précis, tout s’y presse et s’y succède, des années bismarckiennes à la démesure wilhelmienne, de la République de Weimar à Adenauer, en passant par les douze années de noirceur et de braise qu’il traverse, comme des millions de ses compatriotes, sur les champs de bataille de l’Histoire. Le front russe n’est évoqué qu'en demi-teinte, par saccades nerveuses, au milieu des volutes de fumée.

     

    Il est là, face à nous, regarde l’Elbe, nous parle du monde anglo-saxon, de cette Amérique où il est allé plus de cinquante fois. Hambourg, seule ville coloniale d’Allemagne au temps où Guillaume II s’était risqué à l’extension maritime (lire Heinrich Mann, Zwischen den Rassen), est une ville de maisons blanches qui fleurent déjà le sel marin, une ville de lacs et de voiliers, à quelques centaines de mètres du quartier chaud, et des innombrables prostituées du port. En 1944, lors d’un bombardement, le métro avait été noyé : des milliers de personnes y avaient été englouties. Malgré tout, et c’est sans doute la proximité marine (si rare en Allemagne) qui le veut, Hambourg respire beaucoup moins que d’autres villes le tragique de l’Histoire. Au fond, cette ville est hanséatique avant que d’être germanique, c’est là son petit miracle.

     

    Successeur de Willy Brandt et prédécesseur de Kohl, Helmut Schmidt est le chancelier de la construction européenne et des accords monétaires. Il n’aura vécu ni la génuflexion de Varsovie, ni la prise de bras de Verdun, ce qui lui confère une dimension moins mythique que les deux qui l’entourent. Prosaïque, volontaire, virtuose de piano, ancien combattant de Russie ne racontant jamais sa guerre, cet homme énigmatique incarne à tant d’égards un certain mystère allemand. Un homme d’une intelligence exceptionnelle, aussi, persuadé que l’économie, la vraie (celle qui procède d’un travail acharné, non de spéculations virtuelles), peut refaire l’identité d’une nation. Celle, par exemple, de sa patrie, qu’il a connue, à l’âge de 27 ans, totalement à terre, bien pire encore qu’au dernier jour de la Guerre de Trente Ans. Allemagne, année zéro, "Deutschland, bleiche Mutter" (Brecht), il aura fallu des hommes comme Schmidt pour réinventer ton destin. Hommage à lui, à l’approche de son anniversaire.

     

    Pascal Décaillet