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  • Ueli Leuenberger : combien de divisions ?


    Sur le vif – Vendredi 25.07.08 – 19.20h

    Dans l’affaire Nef, il n’est plus possible de se brancher sur une onde publique sans entendre, à tout moment, le président des Verts suisses, Ueli Leuenberger. L’impatience de ce dernier à voir Samuel Schmid tourner les talons au plus vite, jusqu’à ce perfide et mielleux « conseil de repos pour prendre une décision sur son avenir» qu’il vient de murmurer, il y a une heure, devient franchement insupportable. 

    Qui d’entre nous a, jusqu’à l’éclatement de l’affaire Nef, entendu une seule fois Ueli Leuenberger s’intéresser peu ou prou aux questions de politique de sécurité ? Aujourd’hui, touché par un miraculeux Chemin de Damas, voilà notre homme-pastèque (vert dehors, très rouge dedans) comme illuminé par la réforme du système militaire suisse. Il faut, martèle-t-il sans la moindre contradiction, en finir avec la guerre froide (comme si rien n’avait été entrepris dans les années Villiger, puis Ogi), il faut repenser le système, il faut ceci, cela : foudroyante, sa nouvelle passion ! Le parfum du laurier, la quête des étoiles, l’auraient-ils soudain assailli ?

    Foudroyante, et transparente comme l’eau qui jaillit du glacier : beaucoup plus que l’avenir de notre système de sécurité, c’est l’opportunité de placer un Vert au Conseil fédéral qui intéresse Ueli Leuenberger. À la faveur, par exemple, d’une élection partielle, en pleine législature. Une gourmandise, au demeurant, un peu excessive quand on n’a (malgré mille promesses de records historiques, et mille miroitements de mode, pendant la campagne) même pas passé la barre des 10% aux dernières élections fédérales.

    A la vérité, Ueli Leuenberger appartient (tout comme son inénarrable collègue, le Zougois Josef Lang, également omniprésent sur les antennes) à une mouvance qui aspire, in fine, à la suppression de l’armée suisse. Ce qui est leur droit le plus strict. Mais alors, ne soyons pas dupes de ce petit jeu de masques et d’opportunismes, où la seule couleur qui vaille, au-delà du vert, du rouge et des pastèques, demeure, depuis la nuit des temps, la soif du pouvoir.

  • Un très grand Suisse nous a quittés



    Sur le vif – Jeudi 24.07.08 – 22.25h

    De mes hauteurs valaisannes, de retour d’une somptueuse marche sous la Fenêtre d’Arpette, j’apprends, comme des milliers de mes compatriotes, en écoutant Forums et un excellent portrait de mon confrère Roger Guignard, la mort de Kurt Furgler. Stupeur, même si l’homme était octogénaire et réputé affaibli. Foule d’images, qui, à travers lui, sont celles de l’Histoire suisse de l’après-guerre, dont il aura été (avec le socialiste bâlois Tschudi) le plus brillant représentant. Souvenirs des deux ou trois moments privilégiés où j’ai eu l’honneur de l’interviewer personnellement : sur le bateau en partance de Lucerne pour le Grütli, le 1er août 1991, jour du 700e de la Confédération ; sur la Place fédérale, en septembre 1998, pour le 150e de la Suisse moderne. Des festivités, rien de plus : il était déjà, à cette époque, le Furgler de l’après-Furgler.

    Souvenirs, encore : son élection, fin 1971 (il avait, j’ignore pourquoi, une béquille), sur la TV noir et blanc de mes parents ; sa magistrale intervention, à Genève, en novembre 1985, devant Reagan et Gorbatchev, que je découvrais de mon lit d’hôpital. Et puis, mille autres épisodes, de son cas de conscience sur l’avortement à l’échec de la police fédérale de sécurité. L’affaire des mirages, son rôle dans la question jurassienne, je ne les ai connus que plus tard, par le filtre de l’Histoire.

    Les éditos, demain matin, seront élogieux, et ça ne sera que justice. Les grands conseillers fédéraux de l’après-guerre tiennent sur les doigts d’une main : Tschudi, Furgler, et j’ajoute Jean-Pascal Delamuraz. Ceux qui, non seulement, ont façonné l’Histoire suisse, mais, plus encore, ceux qui nous l’ont racontée, en ont fait quelque chose qui, sans aller jusqu’à la légende, relève tout au moins de la geste et du souffle. Encre, qui, pour longtemps, imbibera les livres d’Histoire. Trace, dans nos mémoires. Correction de l’inéluctable. Parfum d’aventure humaine, quelque part dans la brutalité minérale de l’attendu.

    Surtout, le destin de Kurt Furgler corrige une sottise trop répandue, qui sert souvent d’excuse aux médiocrités : l’idée que la Suisse n’aimerait pas (et jusqu’à les rejeter) les têtes qui dépassent. Faux, archi-faux : du Genevois James Fazy au Valaisan Maurice Troillet, du Vaudois Henri Druey au Bâlois Tschudi, le souffle de l’esprit et de l’innovation n’a cessé, à travers les âges, de traverser notre communauté nationale. Que nous en ayons moins le culte que nos voisins français est une chose ; que nous prétendions les gommer en est une autre, inacceptable.

    Reste l’incroyable classe de cet homme, qui vient de nous quitter. Son français parfait, sans le moindre accent. Son incessant combat pour réformer nos institutions. Ses galons de brigadier, qui en font le conseiller fédéral le plus gradé du vingtième siècle. Son intelligence, sa rapidité de synthèse. « Un homme de feu », a résumé François Lachat, qui en sait quelque chose, ce soir dans Forums. Un homme de feu, oui, et on aura tout dit.

    Pascal Décaillet


  • A qui profite l'affaire Nef?

    Commentaire publié dans le Giornale del Popolo du jeudi 24.07.08

    Ainsi, le chef de l’armée suisse serait un affreux monsieur, une sorte d’Ogre domestique, à faire frémir les chaumières. Personne, jusqu’ici, ne s’en serait aperçu. Et, tout à coup, miracle en pleine torpeur de l’été, on en aurait reçu, comme une météorite tombée du ciel, la révélation. Quelle belle histoire, non, simple comme un conte de fées, avec un méchant, un gros naïf, sept nains grugés, et le pays en émoi. Voilà comment se construit un feuilleton d’été, avec épisodes, rebondissements, un Dallas pour presse boulevardière, et sujets de discussions goguenardes assurées sur toutes les terrasses du pays.

    Il se pourrait bien que la réalité des choses soit un peu moins lustrée, un peu plus prosaïque. La première question qu’un esprit un peu critique doit se poser, face à la soudaine émergence d’une telle affaire, est : « A qui profite le crime ? ». Autrement dit, la vraie personne visée n’étant évidemment pas le fusible Nef, mais bel et bien son patron : « Qui a intérêt à une démission, dans les semaines ou les mois qui viennent, à coup sûr avant l’automne 2011, de Samuel Schmid ? ». C’est la question politique qui compte, la vie privée de Monsieur Nef n’étant guère d’importance nationale.

    La première personne, évidemment, à qui on pense, est Christoph Blocher, le grand méchant loup en personne. Et, à travers ses longues dents, l’aile orthodoxe de l’UDC, celle qui n’a pas « trahi », celle qui luttera jusqu’au bout pour l’indépendance du pays, celle qui a gagné les élections du 21 octobre 2007. Celle, surtout, qui a été poignardée le 12 décembre, par un trio hétéroclite, dont un certain Ueli Leuenberger, devenu entre-temps président des Verts suisses, l’homme (est-ce un hasard ?) qu’on entend le plus, ces jours, exiger les têtes. Au point que chacune de ses innombrables apparitions sur les ondes donne l’impression qu’on va entendre Fouquier-Tinville, le redoutable procureur du Tribunal révolutionnaire, sous la Terreur.

    Mais Blocher et sa garde noire (Christoph Mörgeli, notamment) croient-ils sérieusement à un retour aussi rapide aux affaires, après la gifle du 12 décembre ? La réponse est évidemment non. Pour mille raisons, ces hommes-là ont intérêt à attendre. Le pays, à part la situation très difficile de sa première banque, est loin d’être en crise, l’été est heureux et tranquille, nul mouvement de foule ne va venir exiger, pour l’heure, un retour de balancier. Cela, Christoph Blocher doit le savoir, ou alors c’est sa lucidité qui commence à être en cause.

    Du côté bourgeois, en revanche, un parti pourrait être tenté de jouer sa carte : le PDC. Reconquérir en douceur, à la faveur d’une élection partielle, le siège « volé » à Ruth Metzler le 10 décembre 2003, doit, à coup sûr, constituer une sacrée tentation pour ce parti qui, depuis, sous l’impulsion de Doris Leuthard, puis de Christophe Darbellay, s’est refait une santé. À tenter le coup, au fond, il n’aurait pas grand-chose à perdre : les radicaux ont déjà deux conseillers fédéraux, et nul ne sait exactement, aujourd’hui, dans quel no man’s land sont Eveline Widmer-Schlumpf et Samuel Schmid. Bref, il y a, à coup sûr, une « fenêtre d’opportunité ». Christophe Darbellay (jusqu’ici modéré dans l’affaire Schmid/Nef) tentera-t-il, un de ces jours, un démarrage ?

    Restent les Verts, et les très voraces ambitions de leur président, Ueli Leuenberger, qui multiplie les interventions, sur toutes les ondes, pour exiger le départ de tout le monde, une réforme totale de l’armée (sujet qui ne l’a guère tétanisé jusqu’à maintenant), et, en filigrane, l’entrée de l’un des leurs (lui-même, si possible) au Conseil fédéral. Un petit jeu dont nul n’est dupe, si ce n’est quelques naïfs : la fameuse « percée » des Verts, au-delà de 10%, tant promise, ne s’est pas produite le 21 octobre dernier, même si le parti a progressé. Il est peu probable qu’ils puissent placer un conseiller fédéral avant 2011.

    Dès lors, à part l’hypothèse PDC, on conclura que, pour toutes sortes de raisons, une majorité de la classe politique suisse n’a pas vraiment intérêt à un départ précipité de Samuel Schmid. Le salut par l’immobilité, l’équilibre des forces par l’inertie, c’est, parfois, l’une des lois de la politique suisse.

    Pascal Décaillet