Commentaire publié dans GHI - Mercredi 23.04.25
La démarche historique est un chemin de connaissance. Elle implique, de la part du pèlerin qui tente l’aventure, une pulsion permanente de mouvement vers le sujet de son étude. On dit qu’il faut « acquérir des connaissances » : l’expression est trop rêche, trop austère, elle suinte trop le bachotage, pour embrasser une réalité tellement plus essentielle, plus séduisante, au point qu’elle peut devenir mode de vie. Oh, qu’il faille connaître à fond la chronologie, les dates essentielles, le contexte, c’est certain. Mais tout cela n’est qu’un cadre. A l’intérieur, il faut cheminer vers l’essentiel : les témoignages humains, les fragments de réel qui, telle une mosaïque brisée, exigent la patience de la reconstitution. Alors oui, l’Histoire est chemin. Oui, elle est pèlerinage. Oui, elle implique chez celui qui avance un travail non seulement sur l’objet de connaissance, mais sur lui-même, ses préjugés, ses antécédents. La démarche historique est, avant toute chose, une aventure humaine.
Il faut aussi se méfier du mot « archives », qui effraye le grand public. On imagine des salles immenses, avec des kilomètres de rayonnages, un huissier sévère, en blouse, qui vous amène votre commande avec des gants, et de patients étudiants, doctorants ou professeurs, qui passent leurs journées à se pencher sur des documents. Cela existe, évidemment. Mais un film familial, des bouffées de nostalgie sur des vacances en Italie dans les années 60, des monnaies, des timbres-poste (ah, la passion philatélique, qui fut mienne, enfant !), des tessons archéologiques, des vases à figures rouges dans un musée étrusque en Toscane ou à la Villa Giulia de Rome, une friche industrielle en ex-DDR ou dans la Ruhr, tout cela nous parle.
Tout cela nourrit nos imaginaires. Tout cela donne vie à nos dialogues intérieurs avec le passé. Pour ma part, la seule vue d’une Trabant, ou d’une Wartburg, fabrication Eisenach, à l’ombre du château où Luther s’est enfermé deux ans pour traduire la Bible (1520-1522), suffit à réveiller mon imaginaire, m’emplir de bonheur. Fragments de vie, oui, poussières de réel, tout cela est archives, tout cela est mémoire, réinvention, vie retrouvée.
Le chemin vers l’Histoire doit impérativement demeurer l’un des actes fondateurs de l’enseignement, tous niveaux confondus. Non pour bourrer des têtes. Mais comme école de la nuance. Ecole du témoignage. Promenade dans la polyphonie, celle de toutes ces voix multiples, contradictoires, qui viennent à vous. C’est une école de la lutte contre les préjugés, les pensées trop formatées : les nôtres, à chacun d’entre nous ! Une école de doute par rapport à soi-même, comme sujet cheminant vers un domaine du passé, ou d’ailleurs aussi du présent. Tout cela constitue, non un code, mais tout au moins une méthode. Ce chemin, sur tous les sujets d’étude imaginables, doit impérativement demeurer, dans nos écoles, comme une pratique, une ascèse. Et non comme un fatras à enfourner pour réussir un examen. L’éveil à l’Histoire n’est pas une obligation scolaire, c’est un impératif de civilisation.
Pascal Décaillet