Sur le vif - Vendredi 18.03.22 - 18.22h
Il y a, jour pour jour, 60 ans, les Accords d'Evian mettaient fin à huit années de Guerre d'Algérie. Tout avait commencé le 1er novembre 1954, avec la Toussaint sanglante. Tout semblait s'achever huit ans plus tard, sur les bords paisibles du Léman. En ces terres savoyardes qui étaient devenues françaises (1860), alors que l'Algérie l'était déjà depuis 30 ans.
Tout avait commencé en 1954 ? Pas si sûr ! Je vous invite à vous intéresser au massacre de Sétif, le 8 mai 1945, jour de la Victoire. J'ai consacré à cet événement sanglant un épisode de ma Série radiophonique, il y a trente ans. Et si tout avait commencé avec le Décret Crémieux (autre épisode de ma Série), 24 octobre 1870, promulgué à Tours par un gouvernement en débandade face à l'avancée des Prussiens ? L'Histoire de l'Algérie est complexe, infiniment subtile, la puissance des antécédents y est impressionnante, celle de Crémieux, celle de Sétif. Et tant d'autres.
La Guerre d'Algérie, et plus généralement les 132 ans de présence française en Algérie (1830-1962), sont, depuis l'enfance, l'une des périodes historiques qui m'habitent le plus. Au même titre que l'Histoire allemande, celle de la France, celle de la Suisse.
Le 18 mars 1962, j'allais sur mes quatre ans, je n'ai pas vu passer les Accords d'Evian. Je n'en garde pas de souvenir. De cette époque, avant l'assassinat de Kennedy (22 novembre 1963, premier souvenir historique fracassant), tout au plus la mémoire, très précise, des apparitions de Charles de Gaulle en uniforme, le soir, sur notre télé noir-blanc. Je n'ai commencé à me passionner pour la politique qu'en décembre 1965, pour la première élection au suffrage universel de la Cinquième République.
Les chaînes TV viennent de nous proposer plusieurs Séries, bouleversantes, sur l'Histoire de l'Algérie. Parole donnée à tous, les Algériens, les Pieds-Noirs, les Harkis, les Musulmans, les Juifs, les Chrétiens, les Kabyles, les multiples factions rivales de l'ALN et du FLN, les partisans des grandes figures charismatiques (Messali Hadj, Ferhat Abbas), ceux de Ben Bella, de Boumédiène, les irrédentistes de l'OAS. Polyphonie poignante. Exceptionnelle galerie de visages. Le destin d'un peuple en construction, à travers tous ses acteurs.
Je vous invite à lire tout ce qui a été écrit, en français (je ne lis pas l'arabe, hélas) sur l'Histoire de l'Algérie, de 1830 à 1962. A visionner tout ce que vous pourrez comme archives d'actualités, reportages, magazines de l'époque.
Et puis surtout, je vous invite à une réflexion. Se passionner pour les seules années 1954-1962 n'a, au fond, aucun sens. On ne comprend ces huit ans de guerre qu'en commençant par le début, l'arrivée des Français en 1830, dans les derniers jours du règne de Charles X. Comme le montre brillamment Jean Lacouture (que j'ai eu maintes fois l'occasion d'interviewer), les foyers de résistance à la présence française dans cet immense pays commencent dès leur arrivée. Et s'organisent, par une multitude de réseaux, pendant les 132 ans. Le FLN n'en est que l'expression finale : il convient d'étudier ses innombrables racines, c'est complexe, tortueux, passionnant.
Pas plus qu'elle n'a commencé en 1830, l'Histoire de l'Algérie ne s'arrête en 1962. Six décennies d'indépendance. Des moments de lumière. Et d'autres, de la plus intense des douleurs. En Histoire, rien ne commence, rien ne s'arrête. La chaîne de causes et de conséquences est un fil continu. Il faut lire en diachronie, comme d'autres, peintres ou architectes, parviennent à lire dans l'espace.
Je vous invite enfin à vous renseigner sur la vie d'un homme immense, l'Emir Abdelkader (1808-1883), chef religieux et militaire, le premier à avoir organisé la résistance contre les Français. Un savant musulman et soufi, admiré de tous. Un être d'une dimension intellectuelle et spirituelle hors de pair. L'homme dont tout est parti.
A mes amis algériens, aux Français rapatriés, aux passionnés de ce pays, à tous ceux qui furent touchés par la chaleur et la lumière de cette Histoire-là, j'adresse mon salut et ma fraternité.
Pascal Décaillet