Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 10.01.11
Quelque part à l’orée d’un grand parc, vivait une très vieille dame. Elle s’y trouve depuis 52 ans, mais ce matin, 9h, elle doit déménager. Expulsée. Elle a 91 ans, jouit d’une forme intellectuelle hors du commun, s’appelle Noëlla Rouget. La Tribune, d’ailleurs, a raconté son histoire.
Je n’écris pas ces lignes pour juger le propriétaire. Ni pour prétendre qu’avoir passé 14 mois à Ravensbrück (c’est le cas de Noëlla) donnerait des passe-droits. Non. Je pense simplement à elle, je la revois avec Danielle Mitterrand, il y a quelques mois, sur le plateau de « Genève à chaud ». Impressionnante de lucidité. Le témoignage, dans toute sa puissance. Sans haine. Juste le récit.
L’épaisseur brutale de l’ordre, Noëlla connaît un peu. En tout cas depuis ce jour de juin 1943 où la Gestapo l’arrêtait à Angers, pour actes de résistance. A quoi pensera-t-elle, aujourd’hui, pendant ce transfert vers un appartement plus petit ? Elle seule le sait. Cela, intimement, lui appartient.
Revivra-t-elle la douceur angevine ? L’horreur des camps ? Les merveilleux moments passés dans les classes, à partager avec des élèves ? Pensera-t-elle au bien ? Au mal ? Au fil incertain de la vie, la vie qui passe, la vie qui va ? Nous serons quelques-uns, Noëlla, à penser à vous. Et à d’autres, aussi, qui sont parties. Nous ne jugerons pas. Nous serons simplement là. Quelque part.
Pascal Décaillet