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  • Darius et ses généraux

     
    Sur le vif - Jeudi 14.11.24 - 18.19h
     
     
    Vous êtes un général en retraite ? Si vous voulez vous signaler, nul besoin de former quarteron, ni d'aller ourdir un putsch à Alger ! Il vous suffit d'aller chez Darius, qui vous bombardera expert. La gloire vous attend.
     
    Voilà des années que, sur une chaîne privée française où règnent la convention, la glorification du macronisme, l'obédience à l'Oncle Sam, le respect des huiles en place, défilent les généraux. L'esprit alerte, les vertus lustrées comme des guêtres sous le soleil d'Austerlitz, la compétence universelle : ils sont ceux qui savent. Ils sont les Généraux du Savoir.
     
    Ont-ils brillé, naguère, sur quelque terrain ? Percé les Ardennes ? Franchi la Meuse ? Repris Douaumont ? Ramassé le drapeau, gisant sur le Pont d'Arcole ? Taillé en pièces les Espagnols, à Rocroi ?
     
    Sur l'Ukraine, ils savent tout. Des Encyclopédies ! En quelques années, ils ont tout prévu, tout annoncé, tout et son contraire. Ils nous ont promis la prodigieuse efficacité d'une "contre-attaque ukrainienne", on imaginait déjà Manstein au printemps 43, après Stalingrad. On a été un peu déçus. Ils nous ont promis l'effondrement de l'armée russe, pour cause de moral en chute libre. Ce ne fut pas exactement cela. Ils nous ont promis le succès imparable des aides massives, à coups de dizaines de milliards de dollars, de l'Oncle Joe. On attend, encore et toujours.
     
    Tous les soirs, donc, Darius tient salon avec ses généraux. Au rapport, Messieurs, pour une nouvelle soirée traversée d'extase par vos éclairs de lucidité !
     
    A la Cour du Roi de Perse, le Grand Darius, fourmillaient aussi devins, mages et conseillers. On sourcillait. On fomentait. On ratiocinait. C'était l'Orient, celui de tous les rêves, l'Orient compliqué, l'or, la myrrhe, l'encens, la clef des songes.
     
    Merci, Darius. Tant d'étoiles, dans la nuit, celles qui fusent, celles des galons, celles qui filent. Des Étoiles Mystérieuses. Avec leurs armadas de Philippulus. Les Prophètes en toges, accrochés au plus haut mât du navire.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Bavardages sur le néant

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 13.11.24

     

    Il y a quelques années encore, un « chroniqueur » était une plume, ou une voix, qui surgissait de façon régulière, tel jour et à telle heure, pour nous livrer sa compétence, son regard, ses lumières. On l’attendait, on se réjouissait de le lire ou l’entendre. Toute mon adolescence, abonné au Nouvel Observateur, je trépignais de découvrir Delfeil de Ton, ou Jean Daniel, ou Françoise Giroud. Dans les années cinquante, les lecteurs du Figaro brûlaient de savourer le redoutable et souvent vipérin « Bloc-Notes », de François Mauriac.

     

    Depuis une décennie ou deux, le mot « chroniqueur » a dévié. Il désigne aujourd’hui, sur les chaînes privées françaises, un homme ou une femme qui s’en vient faire salon au sein d’une équipe, toujours la même. Et qui salive à donner son avis sur tout, et n’importe quoi. Le chroniqueur n’est plus spécialiste, il est juste fragment de mondanité, paravent de bavardage. Le meneur d’antenne aligne les sujets du jour, on part dans tous les sens, les « chroniqueurs » surenchérissent de rivalité dans le génie du Café du Commerce, et puis on va se coucher.

     

    Rarement l’usage d’un mot n’aura autant été dévalorisé que celui de « chroniqueur ». Ce qui, à l’origine, procédait d’une connaissance intime du sujet, de la finesse d’une plume ou de la qualité d’une voix, s’est proprement liquéfié, jusqu’à devenir bavardages sur le néant. Ça vous convient ? Moi, pas trop.

     

    Pascal Décaillet

  • L'Allemagne, c'est nous

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 13.11.24

     

    Notre petite Suisse, pays souverain au cœur de l’Europe, est entourée de voisins qui, en comparaison, sont des géants. Il y a la France, pays que nous aimons, mais qui est en plein déclin d’influence. Sa dette hallucinante la plombe. Ses industries ont été délocalisées. Sa puissance stratégique, anéantie il y a 84 ans, puis ressuscitée par des rêves et des chimères, n’est plus déterminante. Il y a l’Italie, que nous aimons tant. Et puis, autrement importante dans l’échiquier du continent, il y a l’Allemagne. Première puissance économique d’Europe, quatrième du monde. L’Allemagne, réduite en cendres par la Guerre de Trente Ans (1618-1648), ayant végété jusqu’au très grand roi de Prusse Frédéric II (1740-1786), puis bâti patiemment une exceptionnelle puissance industrielle, grâce au charbon, à la sidérurgie, à la métallurgie, c’est le pays qui ne cesse, depuis la seconde partie du dix-huitième siècle, de progresser en Europe. A nouveau détruite totalement en 1945 ? Oui, mais immédiatement prête à se reconstruire ! Elle l’a fait, à l’Est comme à l’Ouest, en un temps record. Les énergies étaient déjà là. C’étaient les mêmes, vous comprenez ? Les mêmes ! Les Alliés ont détruit les villes allemandes, pas le moral des Allemands.

     

    L’Allemagne, aujourd’hui, donne des signes de fatigue. Ils sont passagers, mais bien réels. Baisse de productivité industrielle, effondrement de l’industrie automobile, à commencer par son fleuron, Volkswagen, symbole de la vitalité allemande depuis les années trente. Mais aussi, crise politique, avec l’échec de la coalition « Ampel » (rouge, vert, orange), ce bric et ce broc incluant des partis trop différents, juste alliés pour tenter d’enrayer l’ascension de l’AfD. Incapacité d’Olaf Scholz, Chancelier social-démocrate, ce grand parti qui avait été celui de Willy Brandt, à s’affirmer. Une ministre des Affaires étrangères incompétente, idéologue, en réalité vassale des Américains dans l’affaire ukrainienne. Bref, une passe difficile. Mais ne vous faites aucun souci : l’Allemagne s’en relèvera. Se relever, elle n’a fait que cela, toute son existence, depuis au moins 1648 : « Auferstanden aus Ruinen, und der Zukunft zugewandt », premiers mots de l’hymne de la DDR, « Ressuscités des ruines, et tournés vers l’avenir », ces sept mots résument toute la continuité du destin allemand. Mourir, pour renaître.

     

    Nous, Suisses, ferions bien de nous intéresser de très près à l’Allemagne. Elle est notre premier partenaire économique et commercial, cela en continuité depuis le dix-neuvième, tous régimes confondus, je dis bien tous. Elle a une structure politique décentralisée, très proche de la nôtre, alors que nos amis français sont sur une autre galaxie, jacobine et autoritaire. Elle va jouer un rôle absolument capital dans l’Europe en devenir. Économiquement, stratégiquement, culturellement, elle va s’accentuer comme le pays qui compte en Europe. Nul, en Suisse, n’a intérêt à un déclin économique de l’Allemagne. L’Allemagne, c’est notre voisin. L’Allemagne, c’est nous.

     

    Pascal Décaillet