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  • Le noir magma de nos silences

     

    Sur le vif - Dimanche 02.07.17 - 10.34h

     

    Il y a, depuis longtemps, des choses qu'on ne peut tout simplement plus exprimer dans l'espace public. Je ne parle pas ici de ce qui est interdit par la loi : là au moins, c'est clair, mesurable, écrit, délimité ; et la loi, on peut toujours aspirer à la changer.

     

    Non. Je parle de tout le reste. Ce qui ne tombe pas (encore) sous le coup d'une loi, mais opprime, étouffe toute conscience sous la pesanteur de l'autocensure. On voudrait tant l'exprimer, mais on se retient. À cause de la tempête de réactions bien pensantes, inévitable, juste après.

     

    Alors, on se tait. Et le noir magma de ces silences, qui rumine et vocifère de l'intérieur, consume les entrailles. Il vous isole. Il contribue à ciseler votre solitude.

     

    Mais cette matière est volcanique. Sous le poids des convenances, elle demeure tacite. Souterraine. Inaudible. Jusqu'au jour où tout éclate. Lave, cendres, poudre.

     

    On dit du réseau social qu'il permet l'expression du non-dit. C'est faux. Il l'aura peut-être permis dans un premier temps, héroïque, balbutiant. Mais déjà s'organise la restauration. La mise au pas. On moralise, puis on légifère. Puis on régente. Puis, on sanctionne. L'ordre cosmique du convenable s'installera ici, comme ailleurs. Avec, comme petits collabos, et fermiers généraux du pouvoir, ceux-là même qui s'en prétendent les critiques distants.

     

    Aujourd'hui, ces chiens de garde du convenable couvrent de leurs aboiements l'émergence de toute parole alternative. Avec le système Macron, c'est dans cette ère-là que nous entrons. La Suisse romande n'y échappe pas, loin de là. Le pouvoir n'a rien à craindre du réseau social : déjà, il y trouve cent fois plus de petits valets, multipliés par les miroirs, que de discours critiques.

     

    Lecteur passionné de Brecht, depuis quelque 45 ans, je crois pourtant à la distance critique. Pour peu que cette dernière s'organise dans la matérialité réelle d'une résistance des âmes. Et non dans la seule posture rhétorique de la révolte. La plus grande preuve de distance critique de Brecht, c'est son adaptation de Sophocle. Dans la métallique réalité des syllabes, avec les accents souabes de sa jeunesse.

     

    La prise en charge des mots est devant nous. Plus que jamais, elle exige courage et solitude. Le salut, quelque part dans la lumière du verbe.

     

    Pascal Décaillet