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L'Allemagne n'a jamais été un pays libéral !

 
Sur le vif - Mardi 03.09.24 - 16.04h
 
 
Allemagne, années soixante. C'est l'époque où mon père, ingénieur, me fait visiter des usines, partout où il y en a. En Allemagne de l'Ouest, c'est le boum de l'après-guerre : la reconstruction est achevée, la prospérité est incroyable, de rutilantes limousines, de fabrication allemande, rivalisent de vitesse (non-limitée) sur les autoroutes. Ludwig Erhard, l'homme au cigare, l'homme du Miracle économique, a remplacé Konrad Adenauer le 16 octobre 1963. Le pays est un nain politique, mais un géant économique.
 
Et c'est de ces années-là, voyez-vous, que date le grand malentendu : la santé économique allemande est telle qu'on l'attribue à un miracle libéral. C'est une erreur majeure ! Non seulement l'Allemagne, de toute son Histoire n'a jamais été libérale, en tout cas jamais au sens anglo-saxon, mais même dans ces années de vaches grasses, elle ne l'est pas ! L'Etat est là, puissant, il garantit la paix sociale, il pousse à la négociation contractuelle, il corrige les tentatives d'insolence capitaliste. Et puis, encore et toujours, il brandit Volkswagen comme le grand modèle de production industrielle à vocation sociale.
 
Volkswagen ! J'ai eu la chance immense, en juillet 1972, de passer une journée entière à visiter ces prodigieuses usines de Wolfsburg, en Basse-Saxe, et d'en voir sortir des centaines de Coccinelles. J'en ai des pages entières, textes, photos et dessins, sur mon Tagebuch de l'époque. 52 ans après, je ne puis l'ouvrir à cette page sans une immense nostalgie.
 
L'Allemagne n'est pas un pays libéral. Le capitalisme rhénan, étudié de si près, avec génie, par Karl Marx, dès ses premières années comme journaliste à la Rheinische Zeitung (Cologne), est investi d'une dimension sociale à des dizaine de milliers de lieues marines du modèle anglo-saxon. Pour comprendre de près ce phénomène, allez visiter les différents Musées sur les friches industrielle des charbonnages de la Ruhr, qui apparaissent dès la jeunesse de Marx, dans le sillage du Zollverein (1834). On vous y explique tout : l'investissement de capitaux prussiens sans lesquels rien n'aurait été possible, la défense des intérêts ouvriers par leurs propres corporations (avant même le socialisme et les syndicats de gauche), la création d'une totalité sociale et économique, au service de laquelle l'industrie doit se mettre.
 
Ces quelques points, à eux-seuls, résument ce qui deviendra, codifié par les lois sociales bismarckiennes, à la fin du 19ème, le modèle allemand. Un modèle économique, certes. Mais indissoluble d'un modèle social.
 
Dans ces conditions, la grande aventure de la DDR, entre 1949 et 1989, que l'arrogance ultra-libérale des années entourant la chute du Mur n'a cessé de nous décrire comme caduque, dépassée, s'inscrit au contraire, beaucoup plus que les errances ultra-capitalistes, dans un esprit profondément allemand. Nourri de Kant. De Hegel, avec son approche systématique. Et, n'en déplaise aux anti-communistes primaires, de Marx.
 
Je reviendrai sur tout cela, largement. Mais nous avons là des éléments d'approche historique profonde, de nature à mieux nous faire comprendre ce qui se passe dans l'Allemagne de septembre 2024. L'Allemagne des deux scrutins régionaux d'avant-hier, Saxe et Thuringe. L'Allemagne, dans son rapport aux finalités de la production industrielle. Nous sommes très loin d'un pays libéral, à l'Ouest comme en ex-DDR. Nous sommes dans un système mixte, équilibré, passionnant. Un système où la protection sociale est constante. C'est l'une des clefs de ce qui se passe dans les cinq Länder de l'Est. Mais aussi, dans les régions les moins favorisées de l'Ouest. Les voitures rutilantes, sur les autoroutes, sont toujours là. Mais la masse des gens modestes ne cesse de croître. C'est cette autre Allemagne qu'il nous faut comprendre. Pour sortir autre chose que des banalités sur la situation politique actuelle.
 
 
Pascal Décaillet

Commentaires

  • Passionnant ! Continuez, cher M. Decaillet ! J'attends avec impatience vos prochains éditos sur l'Allemagne. Puissiez-vous donner des cours à nos journalistes si conformistes et bien pensant !
    Jean-Louis Vial

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