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Le débat, c'est fini. Place au combat !

 

Commentaire publié dans GHI - Mercredi 01.03.23

 

A l’école, on nous apprend à argumenter. Je me souviens, dès l’âge de treize ans, de mes premières dissertations : que pensez-vous de la peine de mort ? J’étais résolument contre, le suis toujours, mais il fallait entrer dans la mécanique ternaire, un peu convenue, thèse, antithèse, synthèse, où même l’opposant farouche à la peine capitale, que j’étais, devait consacrer un paragraphe aux arguments des partisans. C’était scolaire, ennuyeux à mourir, j’ai très vite préféré l’explication de texte : on prend le passage d’une œuvre, on le décortique, on tente de dégager les ressorts du langage, l’usage des mots, le rythme, les silences, la musique des syllabes, le processus d’écriture.

 

Thèse, antithèse, synthèse : c’était très bateau, comme exercice, mais c’était réputé avoir la vertu de nous faire entrer dans la pensée de l’autre. Ainsi, le débat. Radiophonique, télévisé. On prend des gens d’opinions opposées, ils s’expliquent, le ton monte parfois, mais globalement on s’écoute, c’est en tout cas la conception que j’en ai. Mais franchement, à part la catharsis, la vivacité démocratique, la polyphonie, la belle humanité d’une rencontre où des antagonistes se respectent, nul débat ne change la face du monde. Dans l’écrasante majorité des cas, auprès des auditeurs, ou spectateurs, il conforte l’opinion qu’ils avaient déjà.

 

J’aime organiser des débats. Parce que je suis un homme de voix, de direct, de radio. Mais en même temps, je vois bien que nous entrons dans un autre monde : celui du combat. Il faut être réaliste : les gens s’écoutent de moins en moins. Ils se recroquevillent dans des communautés d’idées, de visions du monde, vitupèrent l’autre en son absence, se confortent mutuellement. Cela s’appelle des meutes. Parfois sauvages, parfois phalanges, parfois joyeuses, jouissant du verbe, parfois décaties, revêches, revanchardes. Nul d’entre nous n’y échappe. C’est la nature humaine, notre nature. C’est la noirceur de chacune de nos âmes, nos cicatrices, nos souffrances, nos amertumes.

 

Ce repli, l’époque s’y prête. Guerre en Ukraine, promesses d’Apocalypse climatique, communautarisme fragmenté autour de questions « sociétales », exacerbation de tout ce qui touche au genre, à la couleur de la peau : les sujets sont innombrables, où nous n’avons même plus envie d’ouvrir le débat. Mais juste la force, pour les plus déterminés d’entre nous, de livrer le combat. Le désert de la parole partagée précède les guerres. Surgit un moment où l’on parle seulement aux siens, on les compte, on les rassemble. L’ennemi (oui, il faut oser ce terme, et parfois le préférer à celui, trop doux, d’adversaire), on ne lui parle plus. On coupe les canaux de communication. Drôle de guerre ? Oui, Ligne Maginot, ou Siegfried, tranchées, chiens de faïence, le grand silence qui précède les chocs frontaux.

 

Nous sommes entrés dans ce processus-là. Le temps des soliloques antagonistes se substitue à l’élégance feinte de la disputatio. Le verbe, un jour, deviendra poudre. Et peut-être, un autre jour encore, renaîtra-t-il. Mais ce sera dans un autre monde : celui d’après.

 

Pascal Décaillet

Commentaires

  • J'aime guère être le premier commentateur. Mais cet article qui m'échoit sous les yeux au café de midi tombe juste. Il vient appuyer vos observations.

    https://www.globalresearch.ca/plan-wreck-america/5809998

    En attendant, ne perdez pas de vue l'horizon. Derrière la foire aux armes avec Zélensky, il y a une autre expédition qui se profile et l'Amérique de l'état profond ne manquera pas de demander à l'Europe sa participation.

    Trop c'est trop!
    J'espère que nous saurons dire NON! de temps en temps.

    https://truthout.org/articles/pentagon-prepares-for-island-combat-in-the-pacific-as-us-china-tensions-rise/?eType=EmailBlastContent&eId=b8136138-3739-4340-98df-2fe56169438b

  • Cela fait depuis bien, bien longtemps, il me semble, que tout participant à un débat cherche avant tout à défendre sa propre place dans son propre camp (pour faire mousser ses propres partisans, en justifiant sa propre légitimité interne de caïd), et ne se soucie pas le moins du monde de convaincre quiconque appartiendrait à un autre camp.

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