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Sur le vif - Dimanche 05.09.21 - 09.49hRomain de Sainte Marie est l'un de nos meilleurs politiciens, à Genève. Brillant, souriant, affable, débonnaire, redoutable stratège, il a déjà présidé à deux reprises le parti socialiste, la première fois très jeune. C'est un sauveur d'équipe, un meneur.Atteint à 36 ans par une grave maladie, il l'annonce, et démissionne de la co-présidence. Lydia Schneider Hausser continuera seule, jusqu'au terme du mandat, au printemps prochain.Romain quitte la présidence, mais demeure député. Il tire les leçons du signal donné par la maladie.A cet homme, l'un des plus attachants dans le monde politique suisse, je veux dire mon admiration et ma sympathie. Je le connais, et l'invite dans mes émissions, depuis ses débuts, alors qu'il était très jeune. Il est pour moi l'un des piliers du débat politique à Genève : compétent, bosseur, passionné par l'économie et les vrais problèmes des gens, pragmatique, jamais moraliste, il incarne à mes yeux le socialisme historique, celui qui se préoccupe du niveau de vie, sans se croire obligé de refaire le monde.A lui seul, il appartient de définir le rôle qu'il entend encore jouer dans la politique genevoise. Mon souhait personnel, comme citoyen, est que ce rôle demeure central, car Genève a besoin de gens comme lui.Je n'aborde jamais les aspects de vie privée, vous le savez. Là, j'ai fait une exception. Cela, pour deux raisons :1) Romain a annoncé lui-même son mal, et son parti en a même donné le nom dans un communiqué, hier.2) Ce mot qui fait peur, j'ai été amené à le connaître un peu. Je sais à peu près de quoi je parle. Je vous passe les détails.Tenez bon, Romain ! Vous frôlez déjà les deux mètres. Mais vous sortirez grandi de cette épreuve.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif
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Le bleu de Prusse du ciel. Le vent.
Samedi 04.09.21 - 16.20hLa plaine, immense. L'espace ouvert, offert, comme la Camargue. Après la Prusse forestière, et ses méridionales pinèdes, dans le Nord-Est du Brandebourg, près de la frontière polonaise, voici la Prusse agricole. Derrière nous, les forêts, les lacs. Sur la grande route du Nord, de Stettin à Rostock, l'infini verdoyant. Des champs, des bosquets. Un état impeccable de la chose cultivée. Mais pas un homme ! Pas un paysan visible, pas un village. Des panneaux, oui, pour indiquer des localités que nul ne voit. Un désert de beauté, où la nature est reine. La mer, ici, est-elle un but, ou un monde à part, cette Hanse si fascinante à laquelle le reste des Allemagnes, à l'intérieur des terres, a tourné le dos pendant des siècles ?La route est longue, somptueuse, le temps s'arrête. Nulle buvette, nulle aire providentielle pour se rafraîchir, des camions polonais, baltes, sinon seulement des plaques allemandes, presque toutes issues de l'ex-DDR, où nous sommes. Ici, tout au Nord des Allemagnes, Berlin est déjà loin au Sud, la prochaine ville sera hanséatique, pour peu qu'elle advienne jamais, tant l'immensité de la plaine nous emplit l'âme. Ce monde a-t-il une limite ?La Prusse agricole, au Nord de Prenzlau, est une terre de beauté, d'austérité, de simplicité luthérienne, de défi, de fierté. Perdues au Sud, les richesses industrielles de la Saxe, les bassins miniers de Silésie, les splendeurs de Potsdam (dont nous venons), les lumières cosmopolites de Berlin. Il y a un moment, après la longue forêt du Nord-Brandebourg, où plus rien n'existe que le champ cultivé, la terre, le ciel, parfois le clocher d'un temple de briques rouges. Peu d'animaux, des milliers d'éoliennes. Le bleu de Prusse du ciel. Le vent.Les Suédois, lors de la dévastatrice Guerre de Trente Ans, sont passés par ici. Les oiseaux migrateurs, aussi, de la Scandinavie aux mers du Sud. Le catholicisme, pendant des siècles, puis Luther, la parole biblique traduite en allemand, les Psaumes du dimanche, la musique de Bach, quelques héros de Kleist. Mais cette Allemagne-là est déjà perdue. Généreuse, exigeante, roide, rigoureuse, elle vous ouvre le champ du possible, à condition que vous en ayez puissamment envie. C'est mon cas, comme dans tous mes voyages en ex-DDR, depuis tant d'années. Il faut aimer l'Histoire, la langue allemande, la musique, la Bible de Luther.Il faut la parcourir, cette Prusse du Nord, pour saisir ce qui, depuis Frédéric II et à vrai dire depuis déjà son père, scelle la prodigieuse singularité de ce peuple : austérité, simplicité, dévotion à l'ordre, ouverture d'esprit, appétit de sciences et de verbe. Telles sont, à travers trois siècles, leurs richesses, telle est leur force, leur puissance, surgie de l'être, non de l'avoir.La côte balte, enfin. La mer, si belle, qui me valut une secouée mémorable une nuit de 1968, en montant vers Oslo. La fin d'une terre. La fin d'un monde ? On dit de l'Allemagne qu'elle n'a guère de frontières naturelles, en voici quand même une. Là où nous allons, la beauté nous attend. Simple. Élémentaire. Comme un fragment d'Ancien Testament. Sur la musique de Bach.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Que l'école soit source de vie !
Commentaire publié dans GHI - 01.09.21
L’école, qui a repris ce lundi 30 août pour des milliers d’élèves et d’enseignants, a le devoir d’être exigeante. Mais elle n’a pas le droit d’être ennuyeuse. C’est tout le paradoxe de l’enseignement. Le maître dispense le savoir, incite, éveille, aiguise l’appétit des connaissances, et tout cela doit se faire dans la joie. Les profs sont des hommes et des femmes qui ont choisi ce merveilleux métier, ils en connaissent les moments de grâce, mais aussi les inévitables servitudes : aucune activité humaine ne peut faire l’économie de la part d’effort, d’intendance, d’ingratitude, de solitude parfois pesante. Cette part d’ombre fait partie du métier, elle s’inscrit dans le jeu. Pour l’école, il y a le contact avec l’élève, qui – on l’espère, en tout cas – procure de la joie. Et puis, il y a la préparation, les corrections. Il en va ainsi d’une émission, de radio ou de télévision : beaucoup d’intendance, avec patience, précision et rigueur, pour cet espace de liberté que constitue l’entretien avec l’invité. D’autant plus libre, dans la magie du direct, qu’il aura, en amont, été soigneusement préparé !
Enseigner doit se faire dans la joie, oui. Parce que toute autre solution serait dévastatrice pour l’élève, en termes d’envie, de motivation. Un prof a le droit d’exiger, d’élever le niveau, de rugir s’il le faut. Mais il n’a pas celui de foutre le bourdon à son assistance. Non parce qu’il est prof, mais parce que toute personne, au monde, s’emparant de la parole face à un public, a le devoir de l’emballer, le prendre avec lui, l’enthousiasmer. Tout cela, au service de la transmission des connaissances. Il est inimaginable – et, à vrai dire, inacceptable - qu’un enseignant débarque dans une classe en faisant la gueule, il n’en a tout simplement pas le droit face à l’assistance. C’est valable pour un prof. C’est valable pour un journaliste radio, au moment où il lance son émission. C’est valable pour tout locuteur, tout conférencier, sur la planète.
Pourquoi je vous parle de la joie, pourquoi j’insiste tant ? Mais parce que le chemin de connaissance est un chemin de joie ! La plus austère des grammaires, grecque ou latine, la plus enchevêtrée des phrases allemandes, comme en certaines pages de Kafka ou de Thomas Mann, peuvent se métamorphoser en pistes de lumière avec un prof qui saura vous enthousiasmer. C’est difficile, souvent, et ne parlons pas des maths ! Mais la rugosité fait partie du jeu, elle s’inscrit dans le parcours d’initiation. Il faut demeurer lucide, garder courage, c’est parfois très dur : alors, ce chemin, autant le faire dans la bonne humeur. Parce que sinon, c’est l’enfer.
J’ai aimé l’école. Le grec, le latin, le français. L’allemand, passionnément. J’ai souffert sur les maths. J’ai survécu à la physique en apprenant par cœur des équations qui m’étaient bien étrangères, je n’en suis pas fier, car tout doit passer par la compréhension. Globalement, ma nostalgie de cette époque bénie est immense. A tous, qui ont repris le 30 août, élèves, profs, parents, personnel auxiliaire, j’adresse mon amitié, ma fraternité. Engagez-vous ensemble sur le chemin de connaissance. Et n’oubliez jamais la joie, l’émotion, la passion.
Pascal Décaillet
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