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  • France : bienvenue en 1788 !

     
    Sur le vif - Dimanche 27.06.21 - 15.39h
     
     
    La Bérézina de la démocratie représentative, en France, ne tombe pas du ciel. Elle a des raisons, qu'il est est aisé de discerner.
     
    Au début du règne de M. Macron, un vaste mouvement venu de la base, les Gilets jaunes, a émis la volonté de voir s'instaurer en France une forme - à inventer par leur génie national - de démocratie directe. C'était la revendication principale de ce mouvement, la plus claire, la plus lisible. En haut lieu, elle fut prise de haut, dévoyée par le mépris, classée dans les tiroirs.
     
    L'abstention des Français aux régionales, un scrutin perçu de toute façon comme peu concernant, est une réponse du peuple au mépris du Prince. Il y en aura une autre dans un peu moins d'un an, en mai 2022.
     
    Partout, la démocratie représentative faiblit. A l'inverse, un immense besoin de démocratie directe, dans toute l'Europe, émerge. La France étant le pays à en avoir été le plus privé (si ce n'est dans des plébiscites déguisés), il sera celui où la réaction face au pouvoir, aux corps constitués, aux élites, aux intermédiaires (y compris les médias), sera, dans les prochaines années, la plus violente.
     
    C'est aussi simple que cela. Il n'y a pas à engueuler le peuple de ne pas aller voter. Il en a le droit. Et son abstention est un signal. En l'occurrence, en France, un signal d'alarme.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Voir le monde autrement que dans son bain

     
    Sur le vif - Dimanche 27.06.21 - 10.05h
     
     
    L'obsession d'une certaine gauche bobo, n'ayant sans doute jamais entendu parler du monde ouvrier, pour les sujets dits "de société" (je ne puis user de ces mots sans le paratonnerre des guillemets), ouvre la voie, pour les temps futurs, à une réaction dont nul d'entre nous ne peut prédire la puissance, ni la violence.
     
    Réaction du peuple. Les précaires, les vrais. Les délaissés. Les oubliés de la gauche des salons urbains. Les jeunes sans emploi, ni avenir. Les seniors, aux rentes malingres, alors qu'ils ont travaillé toute leur vie. Ils ne relèvent, les uns et les autres, ni des questions de genre, ni de climat. Mais simplement de l'injustice, celle de Jaurès, celle de Blum, celle qu'ont tenté de corriger, toute leur vie, ceux qui ont construit nos assurances sociales : en Suisse, l'AVS (1948), en France la Sécurité sociale (1945), en Grande-Bretagne les grandes lois travaillistes de l'immédiate après-guerre. C'était le temps où la gauche s'intéressait encore au monde du travail.
     
    Les délaissés, les vrais. Je doute qu'ils soient si sensibles aux questions de genre, ou de climat. Pour eux, la fin du mois précède celle du monde, comme chez d'autres l'existence précède (le prix de) l'essence. A eux, personne ne pense, jamais. Ni la gauche bobo, ni la droite du Nasdaq, ni le centre mou (pardonnez le pléonasme). Tout le monde les oublie. Mais leur réaction viendra. Elle se fera sentir.
     
    Et puis, les classes moyennes. Ceux qui se lèvent le matin, bossent dur, gagnent leur vie, mais l'Etat leur pique tout : taxes, impôts (délirants, sur le revenu du travail), et puis les primes maladie, et puis les loyers, et puis les retraites qui fondent au soleil, et pour ces gens-là, jamais la moindre subvention. Ils ne sont là que pour cracher le pognon. Eux aussi, sans tarder, se révolteront.
     
    La bulle sociétale dans laquelle nous sommes, autour du climat, autour des questions de genre, éclatera un jour. Les plus défavorisés en auront marre de ce dandysme d'Apocalypse, ou de ce tropisme obsessionnel autour de la nature profonde de nos désirs. Il y aura une réaction. Elle pourrait bien être à hauteur d'Archimède, et de sa pression égale venue d'en bas. Ce jour-là, il faudra voir le monde autrement que dans son bain.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Réflexion passagère sur l'Histoire des mots allemands

     
    Sur le vif - Samedi 26.06.21 - 10.14h
     
     
    Nulle Histoire des Allemagnes n'est envisageable sans une Histoire de la langue allemande, une Histoire des mots allemands.
     
    Si vous ambitionnez d'établir, sur de longues années de votre vie, une approche du monde germanique qui tienne un peu la route, vous ne pourrez vous contenter de l'Histoire politique, déjà complexe par ailleurs. Ni de l'Histoire économique, fondamentale et passionnante. Ni de l'Histoire religieuse : au pays de la Réforme, elle est centrale. Ni de l'évolution musicologique, celle qui me passionne le plus. Ni de la fréquentation des poètes, des artistes.
     
    Non. Il vous faudra entrer, en profondeur, dans l'Histoire de la langue allemande, elle-même. J'ai eu l'occasion, naguère, de me frotter au Mittelhochdeutsch, au Althochdeutsch, tout comme un étudiant en français s'initie aux textes médiévaux. Mais le Moyen-Âge, pourtant si fondateur dans l'identité germanique telle que la récupéreront le Sturm und Drang, puis le Romantisme, à partir des années 1770, j'ai choisi en 2015 de ne pas l'inclure dans mon champ d'investigations, déjà immense, circonscrit de 1522 à nos jours.
     
    1522, c'est l'acte majeur de l'Histoire allemande : la traduction de la Bible, par Martin Luther, en allemand de son temps. C'est un acte politique, qui affranchit les Allemagnes de Rome, et préfigure une existence propre du monde germanique face au Saint-Empire. Ce dernier, fondé par Charlemagne en l'an 800, tiendra tout de même jusqu'à la défaite d'Iéna, en 1806. Mais avec Luther, une certaine Allemagne est née, et c'est le grand Frédéric II de Prusse, entre 1740 et 1786, qui affirmera sa puissance, sa détermination, sa rupture des liens avec l'Autriche, son tropisme vers l'Est.
     
    C'est donc, au début du 16ème siècle, une Histoire de mots qui détermine le destin du peuple allemand. Une traduction. Luther part des langues anciennes, l'hébreu, le grec, il s'enferme dans le Château de la Wartburg, et il oeuvre jour et nuit à une transmutation philosophale : rendre ce texte accessible à tout lecteur (on vient d'inventer l'imprimerie), et surtout à tout auditeur (le dimanche, à l'église) des Allemagnes. Par rapport à Rome, c'est un acte d'affranchissement sans précédent. Luther ne l'opère pas par les armes. Mais par les mots.
     
    J'aurai l'occasion, maintes fois, de revenir sur la suite, déjà souvent abordée dans les 32 premiers épisodes de ma Série : l'Aufklärung, au 18ème, ça passe par les mots ; le Sturm und Drang, puis le Romantisme, ça passe par une prodigieuse exhumation des mots médiévaux ; le saisissant Dictionnaire de la langue allemande, des Frères Grimm, ça passe par une mise en lumière des mots allemands, dans leurs souches médiévales, leurs inflexions dialectales ; l’œuvre de Bertolt Brecht, c'est une incessante alchimie sur les mots ; le théâtre de Heiner Müller, la Cassandra de Christa Wolf, c'est une orfèvrerie de mots ; la prose de Günter Grass, complexe et picaresque, c'est une féérie de mots ; le Troisième Reich, c'est la réduction du langage à quelques mots que tous doivent utiliser ; le travail de Friedrich Hölderlin sur Sophocle, ce sont des mots appliqués à d'autres mots ; l'Hymne à la Joie, à la fin de la Neuvième Symphonie, ce sont les mots de Schiller sublimés par la musique géniale d'un homme sourd ; le principe même du Lied, c'est faire coller une note à chaque syllabe d'un mot ; l'immense poète Paul Celan, surgissant du néant après la Shoah, il ne lui reste que les mots pour continuer à vivre ; lorsqu'il choisit de quitter ce monde, à l'âge de 50 ans (avril 1970), il opte pour le Pont Mirabeau pour se jeter dans la Seine. On prend congé de la vie, sous l'ombre d'un autre poète, Guillaume Apollinaire.
     
    Dans les longues années qui me restent pour rédiger les 112 épisodes restants de ma Série (je ne suis absolument pas pressé), je continuerai à vous parler d'Allemagne en vous parlant des mots. Et je continuerai mon exploration, en profondeur, de l'évolution musicale, depuis Buxtehude et Bach jusqu'aux créateurs les plus contemporains. C'est un voyage dans les entrailles auquel je vous convie, celles de la langue, des mots, des notes et des sons. Mais il y aura aussi la sidérurgie, le charbon, la chimie, l'optique. Le destin allemand est une totalité. Dont il s'agit de retrouver, peut-être un jour, le fil conducteur. Chez Richard Wagner, on appelle cela le Leitmotiv. Tenter de le retrouver est une oeuvre de vie, face à la mort. L'affirmation d'une filiation, face à la déshérence.
     
     
    Pascal Décaillet