Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La puissance de feu cryptée du destin allemand

 

Sur le vif - Lundi 31.08.20 - 09.30h

 

Ne soyons pas dupes. Dans la grande manifestation de ce week-end, à Berlin, le masque n'est qu'un prétexte. N'y voir qu'une vague de mécontentement contre une mesure sanitaire, c'est se laisser tromper au jeu des apparences.

Le masque, en Allemagne comme ailleurs, c'est le signe palpable de la verticalité du pouvoir. Les autorités nous l'imposent, certains l'acceptent (j'en fais partie), d'autres se révoltent. C'est le thème de discorde du moment.

Mais le masque, dans les foules allemandes, n'a aucune importance en soi. On manifeste contre le masque, on saisit ce prétexte pour crier son malaise aux autorités de la République fédérale. Le principe républicain lui-même, celui de la Loi fondamentale de 1949 (Grundgesetz), est contesté par une partie de la foule, qui revient au terme de "Reichsbürger". Retour aux temps bismarckiens, négation des principes d'une Bundesrepublik imposée par les vainqueurs occidentaux, quatre ans après la guerre.

En réalité, cela va beaucoup plus loin : la Bundesrepublik de 1949, c'est l'Allemagne de l'Ouest, pas celle de l'Est. Au moment de la Réunification (89-90), Helmut Kohl impose le nom à l'Allemagne entière, gommant ainsi, d'un incroyable mépris, l'autre partie de l'Allemagne, la Deutsche Demokratische Republik, qui était tout autant allemande que celle de l'Ouest. Ne croyez pas que la violence symbolique de ce phagocytage soit demeurée indifférente aux gens de l'ex-DDR. Point n'est besoin d'avoir été communiste pour ressentir comme une profonde humiliation l'effacement brutal d'un nom, d'un système culturel et social, d'une autre manière de vivre la Gemeinschaft allemande.

Le masque n'est qu'un prétexte. Les foules de l'ex-DDR, toujours plus nombreuses, saisissent le sujet chaud du moment pour dire la profondeur de leur mal-être face à un système économique et social qui laisse des millions d'oubliés sur le bord du chemin. Un système qui a fait mine, en 2015, de leur préférer l'altérité de la migration. Un système qui les méprise. Ils sont pourtant enfants de fières nations, riches d'Histoire : la Prusse, la Saxe, la Thuringe. L'Allemagne, c'est eux, tout autant que ceux de l'Ouest. Bach et Haendel, c'est eux. Kant, c'est eux. Kleist, c'est eux. Le Berlin théâtral de Brecht, puis celui de Heiner Müller et Christa Wolf, c'est eux. Günter Grass, c'est eux. Et même si Mme Merkel provient de leurs rangs, ils ont l'impression d'avoir été trahis par cette native de l'Est, passée dans la conservatrice et anti-communiste, la très pro-américaine CDU. Il y a là, pour qui connaît l’Histoire politique allemande, un paradoxe glaçant.

Alors oui, dans la grande manifestation de ce week-end à Berlin, il y a eu un jeu de masques. Entre le réel et les apparences. Entre le dit et le non-dit. Entre ce qui se prête à voir, et la puissance de feu cryptée du destin allemand.

 

Pascal Décaillet

Les commentaires sont fermés.