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Les Cimbres, les Teutons, la mémoire d'un homme

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Sur le vif - Mercredi 10.07.13 - 09.58h

 

Mai 1977. Les étudiants de littérature grecque de l'Université de Genève, dont je suis, sont en voyage d'études (absolument magnifique, d'ailleurs) en Provence. Nous sommes sur une autoroute, ou en tout cas une semi, je ne sais plus. Il fait très beau, et surtout très chaud. Notre chauffeur, la soixantaine passée, roule à tombeaux ouverts, je crois qu'en ce temps-là, les radars ne tracassaient pas trop le voyageur.



Soudain, il plante les freins. Manque de provoquer une collision en chaîne. Fait signe aux autres voitures de nous rejoindre sur le bord de la route. Nous sortons des véhicules, étourdis, constituant un attroupement inopiné, sans aucun doute prohibé par le code. Le sexagénaire, infiniment distingué, pointe l'index vers le vague sommet d'une colline, écrasée de chaleur. Les camions passent, empestent, polluent, la sueur nous accable.



Le chauffeur désigne un groupe de cyprès, inondés de lumière, là-haut, à une quinzaine de kilomètres. Nous nous demandons dans quel film nous sommes. Pointant le doigt, regard au loin, il dit simplement: "C'est là, exactement là, qu'en 102 avant Jésus-Christ, Marius a défait les Cimbres et les Teutons". Pas un mot de plus. Assourdis par la révélation, nous regagnons les voitures. La route enchantée peut continuer. Je me souviens qu'à l'arrière de son bolide, je lisais les "Sämtliche Erzählungen" de Kafka. Je m'apprêtais à partir à l'armée. En attendant, là, sur cette route de Provence, je crois avoir éprouvé quelques fragments de ce qui pourrait ressembler au bonheur.



Ce Fangio à l'érudition planétaire s'appelait Olivier Reverdin. Il était un homme d'exception. Dans cinq jours, le 15 juillet 2013, il aurait eu cent ans. Son successeur Paul Schubert lui a rendu récemment un remarquable hommage dans le Temps. J'écrirai peut-être quelques lignes aussi. Mais je voulais commencer par cette anecdote. Elle résume tout.

 

Pascal Décaillet

 

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