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Le point, la virgule



Édito Lausanne FM – Mercredi 24.10.07 – 07.50h

Depuis l’enfance, j’ai toujours passionnément aimé les signes de ponctuation. Une enfance, d’ailleurs, où quelques demoiselles éclairées, délicieuses vieilles filles, toutes de tendresse et d’extrême rigueur mêlées, avaient bien voulu, justement, et en profondeur, me l’enseigner, cette ponctuation. Un point est un point. Une virgule est une virgule. La suspension, sans abus, doit nous dresser de désir vers l’attente. L’exclamation, encore plus rare pour être percutante, doit nous élever vers des cieux de surprise. Ou de colère. Ou d’extase ravie. Et puis, parfois aussi, la gustative jouissance d’un point-virgule, ultime relique d’un mandarinat du langage.

Oui, ces vieilles demoiselles étaient mes maîtresses, je dirais plutôt « mes maîtres », pour éviter toute confusion, et dans le sens bouleversant, de filiation et d’amour, que donne à ce mot Charles Péguy. D’où mon bonheur, hier, à regarder Infrarouge. Non pour les invités politiques. Je venais de recevoir les mêmes, deux heures plus tôt, sur mon plateau, et sur le même thème. Mais pour un monsieur, un observateur du discours, qui a dit deux ou trois choses d’une éblouissante justesse sur les points et les virgules. Il a dit que Blocher parlait avec des points. Et qu’on le comprenait. Il a dit que tant d’autres parlaient avec des virgules. Et qu’on ne les entendait pas. Et l’écouter, ce spécialiste dont j’ai oublié le nom, a été pour moi un bonheur.

Il y a le discours des points et celui des virgules. Il y a la phrase qui sait se mettre en évidence, avec son sujet, son verbe actif, ses compléments. Elle porte une idée une seule, une image, elle va vers l’auditeur. Et le discours, pas à pas, se construit par l’assemblage de membres qui, tous isolément, portent sens. Cela, Christoph Blocher l’a compris. Mais aussi Pierrre-Yves Maillard, le meilleur de tous en Suisse romande. Je ne parle pas ici de ton, qu’au demeurant chacun de ces deux acteurs maîtrise à merveille. Mais de sens de la phrase, de construction du langage. Parler pour être entendu. C’est valable pour un discours politique comme pour un papier radio.

Et puis, il y a tous les autres. Ceux qui enchevêtrent principales et subordonnées, dans des phrases trop longues, trop conceptuelles, sans image, sans force ni sensualité dans le choix des mots. Comme si le langage n’était que fatras et fracas, fils entremêlés d’un marionnettiste atteint de la maladie de Parkinson. Et ils croient qu’étant longs, ils seront intelligents. Et ils croient qu’étant complexes, ils seront intelligibles. Et, dans le charivari de leur verbiage, plus rien n’émerge, nulle image, nulle idée maîtresse. Et ils aspirent à des gouvernements, quand ils ne gouvernent même pas le verbe qui est en eux. Et ils aspirent à des parlements, quand ils ne savent même pas parler.

Les points. Les virgules. Le monsieur d’hier, à Infrarouge, était tout simplement remarquable. Et tous nos politiciens, qui croient nous ravir avec leurs chiffres et leur amer élixir de complexité, feraient bien, tout simplement, d’apprendre ce qu’est un point, une virgule, une pause, une demi-pause, une respiration. Et on commencerait enfin à les saisir. Et les mornes matins, comme l’avait si bien dit Aragon, en seraient différents.

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