« Le port de tout costume religieux est interdit sur la voie publique à toute personne ayant un domicile ou une résidence dans le canton de Genève, ou y exerçant une activité régulière. Les accessoires religieux ne sont pas concernés par cette interdiction ». Au nom de l’universalisme républicain opposé à la résurgence des communautarismes, le député radical Jean Romain, par ailleurs nouveau parlementaire crédible au Grand Conseil genevois, joue avec le feu. « Même moi, je n’aurais pas osé », déclare Oskar Freysinger.
Il existe, à Genève, depuis le Kulturkampf et Antoine Carteret (seconde partie du dix-neuvième siècle), une solide tradition d’anticléricalisme dans une certaine frange des radicaux. Consciemment ou non, Jean Romain renoue, de facto, avec cette tendance qu’on croyait révolue, ou juste cantonnée à la garde noire de certains conseillers d’Etat. Depuis la loi de Séparation de 1907 (deux ans après la France), Genève est une République laïque, ce dont nul ne se plaint, en tout cas pas le soussigné. L’Etat ne s’y occupe pas de religion, tout au plus fixe-t-il des cadres pour que ces dernières puissent cohabiter dans le respect mutuel. Bref, les choses se passent bien, chacun peut s’exprimer, le croyant, l’agnostique, l’athée, sans compter l’excellence d’un dialogue interreligieux favorisé par la présence du Conseil œcuménique des Eglises.
C’est donc bien mal connaître Genève que de chercher à y rallumer des querelles dont personne ne veut. Il y a, dans tout Genève, au maximum une dizaine de prêtres en soutane, quelques bonnes sœurs qui ne font strictement de mal à personne, des popes orthodoxes d’une belle qualité intellectuelle à Chambésy, de rares rabbins, un imam. Punkt, Schluss. Les quelques burqas qu’on y aperçoit, en août, ce sont des touristes, ne tombant donc pas sous le projet de loi de Jean Romain. Dès lors, à quoi bon, au nom d’un « universalisme » mathématique, où tout est pris en valeur absolue, sans la moindre ductilité d’approche, chercher noise à quelques hommes et femmes de paix pratiquant, dans le canton, la religion qu’ils ont choisie, et vêtus selon leur rite ? Toutes choses ne gênant personne, à part Jean Romain lui-même. Un projet de loi incompréhensible. Surtout de la part d’un esprit de cette qualité.
Pascal Décaillet