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Moritz Leuenberger, l’endormeur des ondes

Samedi 01.11.08 - 18.40h

 

Moritz Leuenberger a-t-il, une seule fois dans sa vie, écouté une radio privée ? S’est-il, une seule seconde, demandé comment faisaient les artisans de ce métier, animateurs ou journalistes, chroniqueurs ou reporters, pour capter l’oreille des gens ? Leur oreille, leur attention, leurs envies, leur appétit de savoir, leurs désirs ? Connaît-il seulement ces mots-là, de chair et de vie, de rires et d’émotions, moins abstraits qu’une galerie d’art contemporain à Zurich, moins engraissés d’opacité pâteuse qu’un rapport de l’OFCOM ?

Moritz Leuenberger s’est-il, une seule fois dans sa vie, demandé ce qu’était une entreprise de radio ? Ces nuits glacées d’hiver, où les matinaliers rejoignent leurs studios, ne croisant de réveillés que quelques boulangers, employés de voirie, ou flics patrouilleurs. Ce combat, par toutes petites équipes (les seules qui vaillent), pour le succès d’une émission. Son audience, bien sûr, mais aussi son estime, son rayonnement, la chaleur de sa familiarité avec ceux qui lui font la confiance de l’écouter. Une émission c’est un réseau, une communauté invisible, à travers la nuit. Cela, Moritz Leuenberger, les apparatchiks de l’OFCOM, le savent-ils ? Y ont-ils songé, ne serait-ce qu’une seconde ?

Je ne travaille pas pour One FM, et ne prêche pas ici pour ma paroisse. Mais il se trouve que je respecte cette station, son directeur Antoine de Raemy, les efforts quotidiens de l’équipe pour parler le langage de tous, être une vraie radio populaire. Une radio qui, en un peu plus d’une décennie, s’est imposée comme la première des privées, en audience, sur Genève. Ce métier est une aventure, le risque d’échec y est permanent. La concurrence, féroce. Les désavantages des privés face au mammouth SSR, innombrables. Malgré cela, One FM s’est imposée. Donc, dans la logique extraordinairement subtile et raffinée de Moritz Leuenberger, elle doit disparaître. C’est clair, limpide, simple comme une machine de Tinguely rouillée par le frottis des ans.

La vérité, c’est que Moritz Leuenberger déteste l’univers du privé. Sans doute rêve-t-il, dans ses très longs sommeils, de la perfection épurée d’une forme d’ORTF, où le glacis de l’intellectualisme ne rivaliserait, au fond de la caverne, qu’avec une mathématique d’ombres chinoises surgie des insomnies d’un maître de l’abstrait. C’est, évidemment, une option. L’autre, qu’il ne connaît pas, c’est la vie, la vraie, brouillonne, imparfaite, viscérale, passionnelle : la radio, c’est cela, et cela seulement.

Oui, le ministre suisse de la Communication n’aime pas les radios privées, et il en a tout récemment donné la preuve dans un discours assez ahurissant, tenu le 11 septembre dernier, à Zurich, à l’occasion du « Radio Days », pour les 25 ans des premières stations locales en Suisse. Nombre de participants en sont sortis choqués par le mépris du conseiller fédéral pour le secteur qui échappe à la grande toile publique, dûment stipendiée par la redevance. Mépris, mais surtout ignorance. Préjugés. Diabolisation de l’audience, comme s’il était scélérat, sur cette terre, de tenter de parler à beaucoup de nos semblables. Avec Moritz Leuenberger au pouvoir, la tranquillité de l’Appareil audiovisuel d’Etat, où les intendances sont souvent plus importantes que les fronts de combat, a encore devant elle de très riches heures à couler.

En attendant, une entreprise humaine de quarante personnes, à Genève, qui avait dû à son mérite, son travail, son talent, de devenir la préférée du public, est menacée de mettre la clef sous le paillasson. Moritz Leuenberger a même le culot de le regretter, en s’abritant derrière la nouvelle loi sur la radio et la télévision, en effet une kafkaïenne machine à gaz, mais qui n’obligeait en rien à une lecture si stricte, roide comme la jugulaire d’un casque à pointe, quelque part dans le Brandebourg bismarckien.

A la vérité, c’est cette loi qu’il faut déjà songer à changer. La révolution de l’audiovisuel suisse ne fait que commencer, elle est devant nous. Les nouveaux supports, les nouvelles habitudes de consommation des médias, l’apparition des premières chaînes TV supracantonales, les efforts gigantesques de certains privés pour devenir, beaucoup plus que la SSR, le lieu du débat politique et de la citoyenneté, tout cela va faire évoluer les consciences. Ce sera l’après-Leuenberger. Une ère qui commence demain.

 

Pascal Décaillet

 

 

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